Les peintres d'Aubusson
aimaient aussi à reproduire les grands sujets décoratifs de C. Gillot,
en même temps qu'ils trouvaient dans ses cahiers d'ornements les
encadrements, les plus gracieux et les plus variés pour leurs dessins.
Le peintre Juliard paraît avoir eu la spécialité de copier des
peintures de marine d'après Joseph Vernet.
Les œuvres de Boucher et de Watteau furent reproduites en tapisserie
dans leur entier, depuis les bergeries jusqu'aux Chinois et aux sujets
militaires. Les plus grands motifs étaient réservés pour les tentures,
les plus petits servaient pour les dessins de meubles.
Mais la vogue
était surtout aux fables de Lafontaine, traduites par Oudry, dont les
grandes chasses décoraient les salles à manger, les châteaux, etc.
Il serait trop long de donner la liste détaillée de tous les modèles des fabriques d'Aubusson
et de Felletin, pendant, le XVIIIe siècle : à coté des Berghem, des
Paul Potter, des Poussin, des Lebrun, des Mignard, des Jouvenet, de
l'histoire de l'enfant prodige d’après C. de Wael, nous rancontrerons
les sujets risqués de Pater, de Baudoin, de Queverdo, et jusqu’aux
bambochades d’un Saxon nommé Scheneau.
Les intendants, pour doter les fabriques d’Aubusson
d’ouvriers habiles, encourageaient ceux qui pouvaient aller travailler
aux Gobelins et qui revenant après plusieurs années d’absence dans leur
ville natale, étaient en mesure de faire profiter leurs compatriotes de
l’expérience qu’ils avaient acquident.
C’est ainsi qu’en 1754 un ouvrier nommé Richerd reçut une gratification de 200 livres.
A la même époque, un certain nombre d'ouvriers, qui s'étaient perfectionnés aux Gobelins, arrivèrent à Aubusson.
Nous pensons qu'il faut voir en eux les premiers officiers de tête de
la manufacture. On désignait de la sorte les ouvriers, en petit nombre,
qui étaient spécialement chargés de faire les chairs des personnages
dans les tapisseries. Ils se, rendaient chez tous les
ouvriers avec leur assortissement de couleurs, pour travailler aux
parties difficiles des ouvrages. Leur collaboration est facile, à
constater dans certaines pièces à personnages dont les têtes sont
finement traitées, tandis que l'exécution des autres parties est plus
grossière. Ils finirent par acquérir une grande habileté, et à tel
point que, non moins audacieux qu'Arachné, quatre tapissiers d'Aubusson, en 1779, s'offrirent à, fabriquer en haute et basse lisse, sur les dessins qui leur seraient confiés, des tapisseries
aussi finement exécutées que celles des Gobelins et de Beauvais. Mais
la seule chose qui leur manquât, l'argent, leur fut refusée !
Il existe néanmoins quelques tapisseries de cette époque, provenant de la manufacture d'Aubusson,
et dont le faire rappelle assez bien la fabrication de Beauvais ;
certaines têtes de personnages ne sont pas indignes des ouvriers des
Gobelins.
Felletin qui, de 1742 à 1758, avait vu le nombre de ses
métiers descendre de 233 à 86, venait de retrouver, elle aussi, son
ancienne prospérité, grâce à des fabricants intelligents et habiles,
tels que les Bandy de Nalèhe, les Tixier , les Sallandrouze.
En
1770, Jacques Sallandrouze de Larnornaix envoya son fils Jean étudier
le dessin à Lyon. Il lui donna ensuite pour maître Bellanger, peintre
du roi. II espérait ainsi, à l'aide de son fils, affranchir les
fabricants de Felletin de l'obligation dans laquelle ils s'étaient
trouvés jusqu'alors de s'adresser pour leurs dessins aux peintres d'Aubusson.
Le roi leur avait déjà permis de recevoir à ses frais, annuellement,
deux dessins de verdures, mais les peintres Roby et La Cour qui étaient
chargés de les fournir avaient refusé de travailler en 1777, alléguant
qu'on ne les payait pas.
La fabrication de Felletin consistait surtout en verdures ou paysages, tirés principalement des œuvres de Perelle. Dans les tapisseries de ce temps là se rencontrent tous les genres de paysage, depuis les marines jusqu'aux paysages historiques.
Les
tentures ordinaires devaient se vendre de 30 à 40 francs le mètre
carré. Tous les fauteuils à fleurs, d'après Baptiste ou Bachelier, avec
personnages et animaux, ornements ou sur des terràsses, étaient du prix
de 55 à 60 francs.
On en payait la façon 30 francs aux ouvriers. La qualité était celle du demi-fin commun d'Aubusson et de 26 à 28 portées.
De tous les peintres du XVIIIe siècle, celui qui a fourni les plus précieux modèles aux manufactures d'Aubusson,
c'est Huet. Ses charmants motifs à fleurs, ses gracieux rinceaux, ses
petites compositions à personnages et à animaux, pleines de finesse et
de naturel, furent reproduits en tentures, draperies, panneaux, dessus
de portes, etc…
Lorsque le peintre Juliard obtint sa pension de
retraite en 1780, Hansen fut appelé à lui succéder. Il y a quelques
années encore, on trouvait à Aubusson
quantité d'esquisses de cet artiste, dont les compositions, moins fines
et moins savantes que celles de Huet, avaient néanmoins une certaine
grâce. Elles ont servi pour la décoration des meubles, des panneaux,
des dessus de porte.
Mais déjà, dès 1780, les fabriques de tapisseries
étaient languissantes et les ouvriers émigraient. A cette époque
d'ailleurs, c'est un malaise général : conséquence fatale des dernières
années da gouvernement de Louis XV, qui léguait à la France la
banqueroute et la révolution.
En 1788, le chômage et la cherté des grains provoquèrent une émeute à Aubusson, et il fallut y envoyer le régiment de cavalerie du Royal-Guyenne.
C'est
pendant ces tristes années que se fermèrent les dernières fabriques de
Flandre. La paix de Munster avait eu des conséquences désastreuses pour
le commerce de la Belgique, qui fut le champ de bataille sur lequel la
France soutint longtemps les efforts de l'Europe coalisée contre elle.
Le sol fie la Flandre fut foulé par les armées de tous les partis en
lutte. Bruxelles, bombardée en 1695, vit disparaître les monuments les
plus précieux de ses archives. Enfin, le système protectionniste de
Colbert avait fermé l'entrée de la France aux produits belges. Malgré
tous ces désastres, les fabricants de tapisseries belges continuèrent à lutter avec courage.
Avant
que la manufacture française des Gobelins fût en pleine activité, Louis
XIV faisait acheter aux marchands d'Anvers plusieurs pièces de tapisserie. Ces belles tentures, exécutées d'après les cartons du peintre Van Cléef, furent placées à Versailles.
A
Oudenarde se fabriquaient surtout des verdures qui reproduisaient
souvent les délicieux tableaux de Berghem, de Paul Patter et de Bath.
La production de cette ville dans ce genre avait fait donner le nom
générique d'Oudenardes à toutes les tapisseries de verdures.
La Belgique possède encore nombre de ces tapisseries
du XVIIe et du XVIIIe siècle. Nous citerons entre autres : les tentures
de l'Hôtel de Ville de Bruxelles, représentant l'histoire de Clovis,
l'abdication de Charles-Quint, etc… ; les magnifiques tapisseries
de la cathédrale de Bruges : huit scènes du Nouveau Testament,
fabriquées en 1742 et portant la marque de Bruxelles : deux B placés de
chaque côté d'un écu de gueule. Ces tapisseries sont dignes des Gobelins.
On
remarque, au Musée de Bruxelles, une peinture qui représente une
procession dans laquelle on voit défiler les différentes corporations
des métiers de la ville, et qui indique qu'en l'an 1l6 le nombre des
maîtres tapissiers de cette ville s'élevait à 103.
Par une ordonnance du magistrat, du 15 mars 1647, ayant pour but de maintenir dans son lustre l'industrie de la tapisserie, qui était alors très florissante à Bruxelles, il est stipulé que les marchands de tapisseries non admis dans le métier et qui feraient fabriquer une chambre de tapisseries,
ne pourraient en partager les patrons qu'entre deux maîtres ; lesquels
maîtres devront apposer leurs marques et noms à leurs ouvrages, sans
pouvait, y joindre ceux des marchands, sous peine d'une amende de 100
florins du Rhin. - C'est à M. Wauters, archiviste de la ville de
Bruxelles, que nous devons la communication de cette ordonnance. Il
nous permettra de saisir, cette occasion de lui adresser nos plus vifs
remercîments pour la bienveillance extrême qu'il a mise, à nous guider
dans toutes nos recherches.
Rappelons ici que les manufactures
françaises, à toutes les époques, demandèrent à la Flandre leurs
meilleurs maîtres tapissiers.
Les fabricants belges ne se
contentaient pas de reproduire les tableaux des peintres de l'école
flamande et hollandaise : de Franc-Floris, de Martin de Vos (dont
l'œuvre entier, les sujets religieux comme les sujets profanes, se
rencontre en tapisseries aussi fréquemment que celui
de Teniers), de Van Ostade, de F. Steen. Dans un tableau de ce dernier
; Une Noce de village, on remarque, comme fond, une tapisserie
de verdure à bordure jaune1, de Diepenbeck, dont les belles
compositions mythologiques du « Temple des Muses, » livre dédié à
l'abbé de Marolles, ont dû fournir de nombreux dessins de tentures ;
mais ils empruntaient aussi aux Gobelins leurs plus beaux modèles.
1.Musée d'Amsterdam, Une Noce de village.
Le 19 juillet 1763, à l'Hôtel de Ville de Bruxelles, on vendit une grande et belle tapisserie,
fabriquée par Pierre Van der Borght, sur les dessins de M. de Haëse,
peintre de l'Empereur d'Autriche, et 7 pièces avec figures, dans le
goût de Wouwermans, et dont l'auteur pourrait bien être l'artiste qui a
signé les belles tentures de la cathédrale de Bruges.
La même année eut lieu la vente du matériel de Pierre Van den Hecke et de nombreuses pièces de tapisseries,
parmi lesquelles l'histoire de l'Amour et de Psyché, d'après Van Orley
; les Femmes illustres, d'après de Haëse ; l'histoire de Don Quichotte,
et les Saisons de l'année, probablement d'après Mignard.
En 1710, le mestier des teinturiers à Bruxelles était réduit à un seul maître, pour les couleurs
fines. nécessaires à la tapisserie.
C'est pourquoi, par ordre du Conseil d'Etat, il fut décidé que tous les
teinturiers seraient admis librement à la maîtrise, à la seule
condition de faire preuve de connaissance de leur métier.
Brandt fermait ses ateliers en 1784. On conserve au château de Zele plus de 100 grandes tentures de ce fabricant célèbre.
Nous lisons dans Derivai1 : La fabrique de tapisseries
est réduite à 3 métiers ; il y a longtemps qu'elle serait tombée tout à
fait si le comte de Cohentzel ne l'avait soutenue de ses deniers.
Forster
raconte que, pendant son voyage dans les Pays-Bas en 1790, il visita la
fabrique d'un nommé Van der Berg, qui se trouvait réduite à 5 ouvriers,
alors que les magasins regorgeaient de matières premières et de
marchandises fabriquées. Il y avait là des tapisseries magnifiques d'après Téniers, Lebrun, etc., qui se vendaient 2 carolus l'aulne. (Le carolus valait alors. 13 livres 15 sous.)
La
manufacture de Gand tomba la première. Celle de Bruxelles se soutint
encore, quoique languissante, jusqu'en 1788. Mais les troublas qui
survinrent alors, le discrédit que la mode jeta sur ce genre
d'ameublement parmi les gens riches, les seuls qui puissent en faire
usage, la dispersion des artistes et des ouvriers : tout contribua à la
ruine de cette manufacture si renommée ! (Statistique du département de
la Dyle.)
En France pendant la période révolutionnaire, l'industrie des tapisseries
eut beaucoup à souffrir. Cependant, il ne paraît pas qu'elle ait jamais
été complétement abandonnée. Les archives révolutionnaires de la Creuse
nous fournissent la preuve que les fabriques d'Aubusson
ne chômaient pas tout à fait, même en 1791, à l'époque de la levée des
volontaires. Nous lisons en effet dans une lettre que les
administrateurs du département adressaient, à cette époque, aux
négociants de la ville de Hambourg ; en réponse à la proposition que
ces derniers avaient faite d'acheter un approvisionnement de grains,
pour parer à la disette :… « Les commerçants de Paris tiraient une
grande partie des marchandises qu'ils vous fournissaient de la
manufacture d'Aubusson.
Cette ville est située dans notre département, nous pourrions établir
une correspondance directe entre vous et les manufacturiers… vous
payeriez nos tapisseries en grains, « en pelleteries, etc… »
Mais ce fut l'habitude qu'avaient prise les manufacturiers d'Aubusson de fabriquer des tapis de pied et de la tapisserie commune qui sauva leur industrie pendant cette période de trouble.
Les papiers de tenture venaient de remplacer les panneaux en tapisserie, et la fabrication des meubles tapissés devait rester longtemps interrompue.
C'est
alors que l'idée vint, pour donner du travail aux ouvriers et utiliser
les matières premières tirées du pays même, de fabriquer des pièces
plus grossières : ainsi prit un nouvel essor la fabrication des tapis
de pied, dont l'usage devait se répandre chaque jour davantage, la
modicité du prix les mettant à 'la portée de toutes les bourses.
1. Derival, Voyage dans tes Pays-Bas autrichiens, tome I, page 173.
On fit les chaînes en étoupes, on employa pour la trame de grosses laines du pays, et Aubusson
put livrer au commerce des tapis d'une solidité à toute épreuve, à
raison de 12 francs l'aune carrée. Certes, les dessins n'étaient plus
la reproduction des plafonds de Lemoyne, de Charmeton, de Sébastien
Leclerc, etc. Il n'était plus question des ornements d'après Cauvet et
Salembier… Les compositions ne variaient guère : une grecque pour
bordure, un semis de petites fleurs, largement espacées et une rosace
dans le milieu.
Sous l'Empire, on reprit la fabrication des grands tapis dans le style de Percier, de Fontaine, - des tapisseries
pour meubles de formes grecque et romaine, avec des oiseaux
mythologiques, des sphinx, des phénix, des vases antiques, des
brûle-parfums et des génies. Aubusson
possédait encore les peintres que l'ancienne école de dessin avait
formés Roby, La Seyglière, Desfarges qui mourut prématurément en 1817
et qui promettait un brillant avenir ; et d'autres encore. Ils
contribuèrent puissamment au relèvement de la manufacture d'Aubusson,
parce qu'ils joignaient à une connaissance approfondie du dessin une
habileté de main peu commune. D'après les croquis de Percier, Fontaine,
Saint-Ange, Barraband, Lagrenée et Dubois, ils firent les patrons des
tapis de pied et de grandes tentures commandées pour la couronne, les
maréchaux et la noblesse de l’Empire ; - patrons qui recevaient leur
exécution dans les fabriques de MM. Sallandrouze de Lamornaix, Rogier
et Debe.
A l'époque de la Restauration, la clientèle d'Aubusson
se composait de toutes les illustrations européennes ; et lorsque Jean
Sallandrouze de Lamornaix mourut, il léguait à son fils, Charles, qui
fut pendant vingt ans député de la Creuse, et que l'on regarde comme
l'un des promoteurs des expositions universelles, une manufacture et
une clientèle uniques, qui contribuèrent puissamment à la célébrité d'Aubusson.
De
1825 à 1842, la fabrication consista principalement en tapis de pied
dont quelques-uns étaient remarquables par une grande richesse de
dessin et unee rare finesse d'exécution. Quant aux tapisseries
pour meubles, l'usage en semblait perdu ; les cornmandes étaient peu
nombreuses : on demandait principalement des rideaux (dont l'éclat
était rehaussé par des fils d'or et d'argent) des tapis de tables, etc…
Cependant, le luxe reparaissait, et avec lui la richesse dans les ameublements. Les manufactures d'Aubusson et de Felletin reprirent peu à peu la fabrication des tapisseries pour meubles.
Les
ouvriers se perfectionnèrent dans leur art ; des fabricants
intelligents s'adressèrent, pour leurs modèles, aux peintres les plus
distingués de Paris, les procédés de teinture des laines avaient
progressé, et l'ancienne tradition des maîtres tapissiers s'étant
renouée, Aubusson et Felletin, en
1852, brillaient d'un vif éclat. Jamais, à aucune époque, même sous
Colbert, ces deux villes n'avaient connu une telle prospérité, ni
occupé un nombre aussi considérable d'ouvriers habiles.
Avec des
commandes, le talent des ouvriers tapissiers ne fit que grandir chaque
jour ; et cette marche ascendante vers le progrès ne s'arrêtera pas
dans l'avenir, nous en avons l'espérance, surtout si les fabricants ont
la sagesse de ne confier à leurs praticiens que de bons modèles à
exécuter.
Les noms de tous les fabricants et ouvriers tapissiers
qui, dans nos luttes industrielles, à toutes les expositions,
soutinrent avec succès l'antique renommée d'Aubusson et de Felletin, se trouvent inscrits au livre d'or de l'industrie.
Qu'il
me soit permis, parmi tant d'autres ; de lui emprunter celui de mon
père, Emile Castel, qui, après avoir obtenu la grande médaille d'or, à
l'exposition de 1844, reçut, en 1851, la croix de chevalier de la
Légion d'honneur. Le lecteur me pardonnera cette citation professione
pietatis.
Tapis d'Aubusson et Tapisseries d'Aubusson inscrits au Patrimoine de l'Unesco en 2009
Tapisserie d'Aubusson
Tapis d'Aubusson
Tapisserie à réaliser soi-même
e-boutique http://www.tapisserie-royale-aubusson.fr