Tapisserie-royale

TAPIS DE SAVONNERIE D'AUBUSSON
III


Les tapisseries en Flandre. - Influence de la prise de Constantinople par les Croisés en 1203 sur l'art et l'industrie de la Flandre. - Organisation des métiers. - Lutte des cornmuniers de Flandre contre la féodalité. - Les tapisseries des ducs de Bourgogne. - Les premiers peintres flamands.- Roger Van der Weyden.

Nous avons vu que le nombre des maîtres tapissiers de Paris, sous le règne de Philippe le Bel, n'était que de vingt-quatre, et jamais pourtant l'usage des tapisseries comme tentures, comme draperies, comme cloisons mobiles ne rut aussi répandu qu'au moyen âge. Mais à cette époque le grand atelier de production était la Flandre, qui possédait tous les éléments propres à assurer le développement de cette industrie : une organisation spéciale des métiers, un remarquable choix de matières premières et une certaine connaissance de l'art de la peinture.
D'après les, commentateurs de Vasari, MM. Leclanché et Jeanron, cet art dut pénétrer dans les Pays-Bas avec la civilisation romaine, et s’y fixer avec le christianisme. On trouve, dans les anciennes chroniques de ces provinces, le témoignage de la protection qu'accordèrent aux peintres, les princes et les hauts dignitaires de l'Église, et un pays qui plus tard, grâce à son commerce et à son industrie, se plaça à la tête de la civilisation, ne dut pas se laisser devancer, dans cette branche, par la France et l'Allemagne ses voisines.
Fiorello dit que les religieuses d'un couvent flamand, de l'ordre de Saint-Benoît, consacraient leurs loisirs à l'étude de la peinture et que les Carmes de la ville de Harlem firent représenter sur les murs de leur église, les portraits de tous les comtes de Hollande jusqu'à Marie de Bourgogne. En 959, un évêque de Liége ornait son église de tableaux retraçant la vie de saint Martin, et en 1296, Anvers possédait six ateliers de peintres et sculpteurs.
La prise de Constantinople, par les Croisés, puis l'élévation au trône impérial du comte Baudouin, établirent des relations suivies entre les Flamands et les Grecs, Cet événement exerça une influence considérable sur l'industrie flamande, qui reçut de Byzance une véritable initiation aux arts de l'Orient. On se demande si ce sont des échantillons de tentures dans le genre de celles que décrivait saint Aster, qui, rapportés en Flandre, ont servi de types aux anciens fabricants de byrri, pour tisser des draps d'or imagiés, ou bien si des artisans flamands sont allés eux-mêmes à Constantinople observer les secrets de cette .industrie, ou encore, si elle a été introduite en Flandre par des artistes grecs envoyés par les empereurs à leurs cousins. Toujours est-il qu'on voit les Flamands, dans leurs peintures, et dans leurs tapisseries, repousser les coloris ternes et blafards, pour adopter ces nuances vigoureuses et ces tons éclatants qui semblent conserver comme un reflet du ciel de l'Orient,
Nous avons une preuve de l'échange de produits qui se faisait au XIIIe siècle entre les villes de Flandre et celles du Levant.
Guillaume le Breton (Philippide, livre IX) nous raconte qu'en 1213, lors de la guerre entre Philippe Auguste et le comte de Flandre, « à Dam qui était alors le port de Bruges, se trouvaient des richesses survenues de toutes les parties du monde : lingots d'or et d'argent, étoffes de Syrie, soies de la Sericane, tissus des îles de la Grèce, pelleteries hongroises, graines qui produisent la teinture écarlate, radeaux chargés de vins de la Gascogne et de la Rochelle, fers, métaux, draps de Lincoln et mille autres marchandises. »
Le Parlement avait, en 1299, prononcé la réunion de ces riches provinces à la couronne, et il fut alors possible à Philippe le Bel d'annexer sans verser une goutte de sang les Flandres à la France.
Meyer, Villani, Guillaume de Nangis, Oudegherst nous ont fait le récit de la réception que les Flamands, alléchés par les belles paroles du roi, firent à leur nouveau sire, lorsqu'au printemps de l'année : 1300 il alla visiter sa nouvelle conquête qui lui avait si peu coûté. Les fêtes que lui offrirent Gand, Bruges et Ypres furent splendides. Les gens des métiers, richement habillés, joutèrent comme des chevaliers, et le luxe qu'étalèrent ces gros bourgeois, couverts d'habits aux couleurs éclatantes, chargés de lourdes chaînes d'or, fit pâlir d'envides nobles besoigneux de France et la reine Jeanne de Navarre, qui s'écria à l'aspect des marchandes de Bruges, revêtues de leurs plus beaux atours : « J'avais cru jusqu'à présent que j'étais seule reine, mais j'en vois ici plus de six cents. » A la vue de tout ce déploiement de richesses, Philippe, au contraire, était ra-
. dieux ; il partit après avoir caressé ses nouveaux sujets par des promesses de maintenir leurs franchises, tout en se jurant bien d'assimiler l'administration de ce pays à celle de ses autres provinces, et surtout de leur faire suer de l'or.

Mais les Flamands, qui s'étaient jetés dans les bras du roi parce que leur comte avait violé leurs garanties, résistèrent lorsque leur gouverneur Jacques de Châtillon se mit à les rançonner.
D'abord trente chefs de métiers de cette ville de Bruges, qui avait si bien accueilli Philippe, vinrent se plaindre au gouverneur, disant qu'on violait leurs priviléges et qu'on ne payait pas les ouvrages commandés par le roi (des tapisseries peut-être). Jacques de Châtillon les fit arrêter, le peuplé s'assembla en armes, et les délivra. Cette émeute ouvrit la grande lutte que les communes de Flandre soutinrent contre-le pouvoir royal et surtout contre la féodalité. Elle fut longue et sanglante, acharnée de part et d'autre; lés combattants ne manquèrent jamais d'aucun coté. Quand une armée flamande. était écrasée, comme à Mons-en-Puelle, de ces glrosses fourmilières qui avaient nom Gand, Bruges, ou Ypres, il en sortait une seconde bien vêtue et bien armée. La déroute de Courtrai ne découragea pas non plus les chevaliers. « La grasse Flandre, dit-Michelet, était la tentation naturelle de tous ces gouvernements voraces. Pour tout ce monde de barons, de chevaliers, que les rois de France sevraient de croisades et de guerres privées, la Flandre était leur rêve, leur poésie leur Jérusalem. Tous étaient prêts à faire un joyeux pèlerinage aux magasins de Flandre, aux épices de Bruges, aux fines toiles d'Ypres, aux tapisseries d'Arras. »
Raconter ces luttes entre la féodalité et les gens des métiers, ces querelles entre ongles bleus (les ouvriers) et les manqeurs de foie (les marchands), c'est raconter en partie l'histoire de la tapisserie en Europe pendant cette période.
Les tapissiers formaient en Flandre la corporation la plus brillante, la plus relevée de la nation des tisserands, qui pendant ce temps de discorde se signala continuellement par sa turbulence et, il faut le dire, par son initiative et son courage. Leur nombre était considérable. D'après Oudegherst, (Chroniques de Flandre, p. 295), à Gand, les tisserands occupaient vingt-sept carrefours et formaient à eux seuls, un des trois membres de la cité. Autour d'Ypres ils étaient 200,000 en 1342 à Louvain, avant leur émigration en Angleterre vers 1382, ils étaient 50,000.
Ce furent les tisserands qui donnèrent le signal du massacre des Français à Bruges, le 21 mars 1302, et plus d'un baron à Courtrai dut périr sous les maillets de plomb des tapissiers. Après la prise d'Ypres ; en 1380, Louis de Nevers fit couper la tête à plus, de 700 foulons et tisserands ; et en 1382, cette corporation se fit bravement écraser en disputant au pont de Commines le passage de la Lys à l'armée française.
Le grand Jack Van Artewelde sortait d'une des plus notables familles du métier des tisserands ; le promoteur de la révolte de Bruges, en 1302, était, dit Meyer, un homme d'une soixantaine d'années, sorti du peuple, borgne, petit, à l'aspect dur, d'un grand courage, bon au conseil, prompt de la main, nommé Pierre le Roi, opificio textor pannorum, ce qu'on peut traduire par ouvrier en tapisserie. Placés comme un perpétuel objet de convoitise entre la France, l'Angleterre et l'Allemagne, obligés de lutter sans relâche contre la féodalité, les communiers des Flandres apprirent de bonne heure à défendre leurs franchises, et trouvèrent, dans le système des corporations, le développement et la sauvegarde de leur industrie.
Au premier coup de cloche, les gens de Gand, de Bruges, d'Ypres, etc., enrégimentés, bien armés, venaient se ranger sous la bannière de leurs métiers, et suivaient courageusement le chef qu'ils s'étaient donné, soit qu'il fallût, comme à Courtrai, se mesurer avec la chevalerie, soit qu'il s'agît de défendre les droits de la cité contre les empiétements d'une ville voisine, ou même d'écraser une rivale commerciale. La commune primitive avait fini par être absorbée dans la confrérie des métiers.
Un passage, que noustrouvons dans un mémoire publié par les magistrats d'Anvers au XVIIe, siècle, qui n'est ni daté ni signé, mais qui doit, d'après M. A. Wauters, remonter à l'époque des archiducs Albert et Isabelle, résume en quelques phrases la situation du pays et les idées autour desquelles gravita sa politique pendant plusieurs siècles : « Et que nous n'avons en temps de paix, pour nous garantir de ceste pauvreté, que les mains, l'industrie, diligence, et quasi continuel labeur et travail, c'est-à-dire, le trafficq et commerce, la navigation, la pescherie et les manufactures sans lesquelles le peuple ne se sçauroit maintenir et estre contenu eri obeyssance, ains seroit contraint de mal faire ou chercher des remuements en sa pauvreté… »
Édouard III savait bien qu'il frappait la Flandre au cœur, lorsque, voulant user de représailles contre Louis de Male, qui avait fait arrêter les sujets anglais qui se trouvaient dans ses États, il prohiba l'exportation des laines anglaises en Flandre, et ordonna de ne plus se servir que de draps ouvrés dans le pays (1336). Aussitôt que la disette de laines anglaises commença à se faire sentir sur les marchés de Flandre, les métiers cessèrent de battre et une foule d'ouvriers durent émigrer, faute d'ouvrage.
Depuis les cruautés qu'il avait exercées après la victoire de Cassel, victoire à laquelle il devait sa couronne, le comte Louis était odieux à ses sujets. En admettant les étrangers, les Français surtout, à la libre pratique du commerce et de l'industrie, et en soutenant les campagnes, il avait mécontenté les grandes villes qui prétendaient exercer un monopole ; la rupture des relations avec l'Angleterre amena l'explosion de la révolte qui depuis longtemps fermentait dans les esprits.
Un de ces hommes dans lesquels s'incarnent, à un moment donné, le génie et les aspirations d'un pays, le brasseur Jack Artewelde, « sorti d'une des plus notables familles du métier des tisserands, » dit Froissard, soutenu par les corps des métiers, prit la direction du mouvement, et engagea la lutte contre le parti français. Il assembla à Gand, les députés des trois grandes villes, Gand, Bruges et Ypres, « et leur montra que sans le roi d'Angleterre ils ne pouvaient vivre ; car toute la Flandre était fondée sur draperie, et sans laine on ne pouvait draper : » les Flamands alors chassèrent le comte et entrèrent en négociation avec Édouard.
Rien n'aurait pu vaincre la Flandre, si l'accord se fût toujours maintenu entre les grandes villes. Ce nom de Flandres, au XIVe siècle, n'exprimait pas un peuple, mais une réunion de plusieurs pays fort divisés, une agglomération de tribus et de villes. Outre la différence de races et de langues, les rivalités commerciales et politiques semaient des haines terribles entre les villes ; les différents corps de métiers, qui avaient chacun ses magistrats, sa justice, sa bannière, se jalousaient entre eux ; mais tous détestaient un souverain qui ne pouvait maintenir son autorité qu'en attisant les haines locales, pour dominer les villes les unes par les autres.
Si les Flamands étaient le premier peuple de l'Europe par les richesses et les franchises, l'intérieur de leurs cités était, en revanche, livré à toutes les passions, et à tous les emportements de l'anarchie.
Chez ce peuple de travailleurs, il y avait, excès de force, surabondance de vie ; les ouvriers, les tisserands surtout, qui faisaient de grands gains, hantaient les tavernes et les places publiques, toujours prompts à jouer du couteau.
Dans l'enceinte même de Gand, les foulons et les tisserands se livrèrent un combat furieux ; ces derniers, soutenus par Artewelde, écrasèrent les foulons ; et quelque temps après, Artewelde lui-même périssait, assassiné dans une émeute par un tisserand, nommé Thomas Denys. «Poures gens l'amon tèrent premièrement, dit Froissard, méchants gens le tuèrent en parfin. »
Les grandes villes faisaient peser une effroyable tyrannie sur les petites ; si quelques ouvriers, trouvant qu'ils payaient trop cher le dangereux honneur d'être de Messiew's de Gand, quittaient la ville pour s'établit, dans un village qui devenait alors un centre industriel, la grande cité commençait par interdire le travail dans la banlieue, puis si la concurrence devenait trop gênante, elle brisait les métiers de sa petite rivale.
La question des eaux fut pendant le XIVe et une partie du XVe siècle, une source de discordes perpétuelles entre les villes ; ce fut elle qui amena la terrible guerre de Gand, et cette fameuse bataille de Rossebeke, dont les ducs de Bourgogne de la maison de Valois aimaient tarit à voir la représentation sur leurs tapisseries.
Gand, qui était placée au centre des eaux, à l'endroit où se rapprochent les fleuves, ne voulait souffrir aucune innovation qui pût détourner le trafic des marchandises de la voie qu'il suivait ordinairement. Aussi, lorsque les habitants de Bruges, fiers d'un droit qu'ils avaient acheté du comte, voulurent creuser un canal pour y faire passer la Lys, les Gantois, furieux, sortirent de leur ville, se jetèrent sur les travailleurs de Bruges, qu'ils assommèrent ; la bannière du comte fut déchirée et son bailli fut tué.
Louis de Nevers vint à Gand pour interposer son autorité et essayer de dissoudre la confédération des Chaperons blancs, mais il y fut accueilli par des huées, et partit la rage dans le cœur.
Après avoir vainement imploré le secours de Charles V, qui lui refusa toute assistance, « car c'estoit le prince le plus orgueilleux qui fust, et celui que, plus volontiers, il eut mis à raison » (Froissard), il ne songea plus dès lors à réduire ses sujets à l'obéissance que par la terreur et les supplices. Les révoltés répondirent à ses cruautés par le meurtre de ses chevaliers et l'incendie de ses châteaux ; alors se déchaîna sur la Flandre une lutte implacable qui devait durer plusieurs années.
Un moment soutenus, puis abandonnés par les grandes villes que le comte était parvenu à ressaisir, les Gantois se montrèrent héroïques dans le danger et dignes de l'ascendant qu'ils voulaient prendre sur le reste de la Flandre.
Écrasés à Nivelles, le 13 mai 1381, ils semblèrent trouver encore dans leur défaite comme un redoublement d'énergie,
D'après les conseils d'un de leurs braves capitaines, nommé Peter Van denBosch, ils allèrent chercher dans sa maison, où il vivait paisiblement avec sa famille, le fils du fameux Jack Artewelde et le prirent pour chef. Le qrand Jack sembla revivre dans son fils Philippe, qui se montra digne de la mission que ses compatriotes lui avaient confiée.
Ayant vu ses tentatives de paix se briser devant l'inflexibilité du comte, qui ne voulut entendre parler de capitulation autre « que tous les Gantois ne vinssent, la corde au cou, se mettre à sa discrétion, » Philippe, assiégé dans sa ville, près de succomber par la famine, prit cinq mille hommes de choix, et suivi de quelques charretées de vivres, il marcha droit à Bruges où était le comte.
Les Gantois rencontrèrent à une lieue de Bruges l'armée ennemie, forte de 45,000 hommes environ, et en majeure partie composée des milices de la ville ; ils se jetèrent piques baissées sur leurs adversaires, les renversèrent du premier choc et les poursuivirent jusque dans les rues de Bruges, où ils pénétrèrent en même temps que les fuyards.
La ville fut sacagée ; d'après Froissard et Meyer, la fureur des vainqueurs s'abattit principalement sur les gens des métiers; des corporations entières furent passées au fil de l'épée (3 mars 1382), et le comte, caché sous le lit d'une pauvre femme, ne put se sauver que le lendemain à la faveur d'un déguisement.
Artewelde, auquel toutes les villes se soumirent, prit le titre de Régent de Flandre, se donna pour armes « trois chaperons d'argent sur champ de sable, pour ce que ce chapeau estoit autrefois le symbole de la liberté », et rivalisa de faste avec les plus grands seigneurs féodaux. ,
La bataille de Bruges eut un profond retentissement en France ; les princes, sachant que les bourgeois de Paris étaient en relations suivies avec les Gantois, décidèrent facilement le jeune roi à déployer l'oriflamme et à marcher contre les révoltés. « Car, si on laissoit telle ribaudaille, disoit le duc Philippe le Hardi, comme ils sont en Flandre, gouverner un pays, toute chevalerie et gentillesse en pourrait estre honnie et destruite, et par consequent toute chrestienté, »(Froissard.)
L'armée royale, composée de 10,000 lances, sans compter des nuées d'arbalétriers, routiers et varlets, opéra à Hesdin sa jonction avec l'armée du comte, forte de 16,000 hommes, et entra dans l'Artois au commencement d'octobre 1382.
Les tisserands de Bruges, qui voulurent défendre le pont de Commines, furent taillés en pièces ; Ypres se rendit sans combat, et tout ce pays de la West-Flandre, où il y avait tant à prendre, devint la proie des pillards. Les soldats bretons se signalèrent par leur rapacité, et les marchands de Lille, d'Arras, de Douai, de Tournay achetèrent à vil prix les dépouilles des villes qui regorgeaient de draps et de pennes d'or et d'argent.
Artewelde, craignant de se voir enlever Bruges, passa la Lys à Courtrai, et vint avec 40,000 hommes environ, camper à Rossebeck, en face de l'armée du roi et des princes. ..
Le 27 novembre 1382, eut lieu cette effroyable bataille de Rossebeke, où la chevalerie prit une épouvantable revanche de Courtrai : on ne fit pas de prisonniers ; 25,000 hommes jonchèrent de leurs cadavres le champ de bataille. Artewelde gisait auprès de ses compagnons de Gand ; tous étaient morts : pas un n'avait fui! « Faites. miséricorde au roi, avait dit Artewelde à ses compagnons, la veille de la bataille ; c'est un enfant qui ne sait ce qu'il fait: il va où on le mène. Nous le mènerons à Gand apprendre à parler et à être flamand. Mals des ducs, comtes et autres gens d'armes, occiez tout ; les communautés de France ne vous en sauront nul mal gré, car elles voudroient, et de ce je suis tout assuré, que nul d'entre eux ne se retournât en France. »
Artewelde disait vrai, les communautés de France étaient d'accord avec les Flamands ; aussi ce roi, cet enfant qu'on avait recommandé d'épargner, laissa réduire Courtrai en cendres pour venger la mort de Robert d'Artois ; les princes, qui se souvenaient des Maillotins, et connaissaient les promesses échangées entre les révoltés de Flandre et les mécontents de Paris, entrèrent dans cette ville par la brèche et firent décapiter douze bourgeois.
Louis de Nevers (dit de Male) mourut en 1384, et Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, son gendre, hérita des comtés de Flandre, d'Artois, de Bourgogne, de Rethel et de Nevers.
TAPIS HAUTE LISSE
Le nouveau suzerain de Flandre, qui était un politique habile, ne se montra pas difficile avec ses sujets sur les conditions de paix, et jura toutes les chartes qu'ils lui donnèrent à jurer. Il s'allia, par un double mariage de ses enfants, avec la maison de Bavière, qui possédait le Hainaut, la Hollande et la Zélande, préparant ainsi la grandeur de sa' maison, dont les princes allaient être bientôt les souverains les plus riches et les plus puissants de l'Europe.
« Quelle époque pour la Belgique que celle qui s'ouvre avec le mariage de Philippe le Hardi et de l'héritière de la Flandre, et qui s'arrête devant le berceau de Charles-Quint ! Quelle époque que celle qui fut illustrée par les écrits de Chastelain et de Commines, par la construction de nos hôtels de ville et de tant d'édifices grandioses, par la li découverte de la peinture à l'huile et de la taille du diamant, par tant de statuts municipaux, que les juri consultes admirent encore ! Nos contrées furent alors le théâtre de luttes terribles ; mais pendant qu'au dehors les guerres sont entretenues par des querelles dynastiques, chez nous elles sont surtout le résultat de l'antagonisme de grands principes. C'est tantôt l'esprit de centralisation aux prises avec les libertés communales, tantôt les conseillers de la couronne et les états généraux se disputant la direction des affaires politiques. Quelles journées ! et ajoutons, quels lendemain ! Après Othée, Gasvre et Brusthen, le sac de Liége et de Dinant, la ruine industrielle et commerciale de Gand et de Bruges1 ! »
Malgré ces dissensions intérieures, le règne des princes de la maison de Valois fut pour la Flandre l'époque de sa grande prospérité industrielle. L'influence que l'art flamand exerça sur l'Europe fut
prépondérante, et partout on vit se multiplier les chefs-d'œuvre de l'art et de l'industrie : tableaux
verrières, orfévrerie, tapisseries, etc.
Les historiographes de la maison de Bourgogne, étrangers pour la plupart, ne fréquentant que les palais et les châteaux, ne se rendirent pas plus compte que leur souverain des entraînements du peuple au milieu duquel ils vivaient ; ils méconnurent le caractère national, et rie comprirent pas que sous cet étalage de magnificences et ce brillant déploiement de forces militaires se cachaient des germes rapides de décomposition, développés par une centralisation excessive et par l'entretien d'une armée trop nombreuse, qu'on ne pouvait maintenir qu'en forçant les impôts et en ayant recours aux mesures fiscales les plus vexatoires.
De 1355 à 1482, une sourde fermentation ne cessa de régner dans le pays, elle se traduisit par des révoltes répétées, suivies de sanglantes répressions.
Après sa victoire de Hasbain sur les Liégeois (1408), le duc Jean fit jeter dans la Meuse 800 prisonniers ; on l'appela dès lors Jean sans Peur ; l'histoire aurait dû lui donner le même nom qu'à son cousin, Jean de Bavière, évêque de Liége, qu'elle a flétri du surnom de Jean sans Pitié, en raison de la cruauté dont il fit preuve envers les vaincus.
Grâce aux travaux de M. A. Wauters sur les premiers peintres flamands de MM. Michelant et de Laborde sur les ducs de Bourgogne, nous possédons des 0 données assez exactes sur la fabrication des tapisseries pendant cette importante période de transition, où les maître tapissiers, suivant pas à pas les peintres flamands dans l'ère de splendeur qui s'ouvrait devant eux, purent abandonner leurs modèles habituels (qui n'étaient souvent que la reproduction en grand des enluminures des manuscrits) pour copier les belles créations de Roger Wan der Weyden, de Van der Goes, de Thierry Bouts, et jusqu'aux plus sublimes pages de Raphaël. .
Les tapisseries, qu'on appelait aussi draps imagiés, résumèrent pour ainsi dire, jusqu'au XVIIe
siècle, toute la décoration des appartements. Le nom qu'elles portent dans le nord de l'Europe, Ruckelacken, ou Rekkelaken, tentures mobiles, indique assez leur usage. Les tapissiers décorateurs tendaient à de longues traverses de bois, attachées autour des salles ou des chambres, les tapisseries ou couvertures, qu'ils assortissaient avec les meubles ; quelquefois ils faisaient succéder avec rapidité une décoration de tapisserie à une autre. On avait dîné au milieu des danses de bergers ; le soir, au souper, on se trouvait au milieu de batailles, de forêts remplies de bêtes fauves et de voleurs (Alex. Monteil, tom. 1er, epist. LXXXI).
« Il faut en convenir » - dit M. Charles Blanc dans son Étude sur l'art décoratif, travail rempli d'appréciations si justes et si élevées, - « ils vivaient dans un monde plus poétique et plusattrayant que le nôtre, nos ancêtres du moyen âge. Poètes, ils l'étaient dans leur architecture,
toute pleine de sentiments religieux et chevaleresques ; ils l'étaient dans la peinture de leurs
vitraux qui interceptaient la lumière pour faire resplendir un paradis de couleurs. Ils l'étaient aussi dans leurs tapisseries dont ils se faisaient des murailles, et qu'ils savaient convertir en clôtures, lorsqu'ils divisaient en petites alcôves une grande chambre. Ces tapisseries les enveloppaient de mystère. Intrigues d'amour, secrets d'État, conspirations, surprises, issues dérobées, tout cela dans un temps de chevalerie, de guerres, de ruses, était tour à tour caché et découvert par ces
1. Alph, Wauters, Hugues Van der Goes. Bruxelles, 1872

lourdes tentures qui couvraient les parois et dont les franges traînaient sur le plancher. Quand la châtelaine, dans quelque circonstance solennelle, écartait les pans de la tapisserie, qui, le plus souvent, tenait lieu de porte, son entrée, sans bruit, dans la grande salle du château, devait produire l'effet d'une apparition. Au moyen âge, comme au temps de l'antiquité historique, les tapisserie sont des murailles qui ont des oreilles et qui couvrent quelquefois des tragédies. Alexandre, faisan donner la torture à Philotas, impliqué dans la conspiration de Dymnus, écoute derrière une tapisserie les réponses de l'accusé. Agrippine, cachée par une tenture, assiste secrètement aux délibérations du Sénat. Dans Shakespeare, Polonius épiant l'entretien d'Hamlet avec sa mère reçoit une mort obscure et tragique à travers la tapisserie. »
Les grands ducs de Bourgogne avaient de magnifiques occasions d'étaler leurs splendides tapisseries, rehaussées d'or et d'argent, lors de leurs joyeuses entrées dans leurs bonnes villes, lorsque les façades des palais disparaissaient sous de riches tentures, comme à Bruges en 1430, où les bourgeois et les marchands des dix-sept nations, qui avaient leurs comptoirs, tivalisèrent, de luxe avec les seigneurs pour fêler leur duc qui.épousaitune, infante de Portugal.
C'étaient les tentures de Jason et de Gédéon, dont nous voyons l'énumération dans les inventaires de la maison de Bourgogne, qui tapissaient la salle dans laquelle se tenait le chapitre de la Toison d'or. D'autres, aussi célèbres, servaient de décors dans ce fabuleux gala, donné à Lille, en 1454, et dont Ollivier de la Marche nous a laissé la description.
Ces fêtes somptueuses, qui étaient de tradition chez les ducs de Bourgogne, coûtaient autant qu'une guerre. Lorsque Philippe le Hardi maria son second fils, il donna à tous les seigneurs des Pays-Bas qui assistaient à la cérémonie des robes de velours vert et de satin blanc, et distribua pour dix mille écus de pierreries ; aussi, malgré ses gros revenus, malgré les sommes énormes qu'il avait pillées dans le trésor de France, ce prince mourut insolvable, et sa femme, la duchesse Marguerite, pour ne pas payer les dettes, ne recula pas devant un acte que n'osait pas accomplir là plus petite bourgeoise de Flandre : elle renonça à la succession mobilière de son mari, mit sur le cercueil sa ceinture, sa bourse et ses clefs, puis en requit un acte à un notaire public, qui était là présent. .
Philippe laissait pourtant une valeur énorme et inestimable en tapisseries, joyaux, meubles et objets d'art de toutes sortes ; en relisant les comptes de dépenses de sa maison, on voit que les tapisseries figuraient pour une somme considérable et le soin minutieux avec lequel chacune des pièces est décrite indique le prix attaché à ce genre de travail, qu'on estimait à l'égal des plus riches joyaux.
La renommée de ces belles tentures était européenne.
Après la bataille de Nicopolis, lorsqu'on demanda à Jacques de Helly, tenu en France pour traiter de la rançon du comte de Nevers et des autres chevaliers qui n'avaient pas été massacrés par Bajazet, quels joyaux précieux on pouvait offrir au vainqueur pour adoucir le sort des captifs, Jacques de Helly répondit que « l'Amorath prendrait grand plaisance à voir draps de hautes lices, ouvrés à Arras en Picardie, mais qu'ils fussent de bonnes histoires anciennes ... avecques tout, il pensoit que fines blanches toiles de Rheims seroient de l'Arnorath recueillies à grand gré, et fines escarlates, car de draps d'or et de soie, en Turquie ; le roi et les seigneurs en avoient assez largement et prenoient en nouvelles choses leures battement et plaisance. » (Proissard.)
Nous savons que parmi ces bonnes histoires anciennes envoyées à Bajazet figurait l'histoire d'Alexandre. La majeure partie des tapisseries était alors fabriquée à Arras du moins c'était la ville la plus renommée pour ce commerce ; celles qui étaient confectionnées ailleurs portaient cette désignation façon d’Arras : en Italie, le mot Arrazi était le terme générique comprenant toutes tapisseries de haute ou de basse lisse originaires de Flandre ; c'est le nom que portent encore les tentures fabriquées à Bruxelles, en 1516, sur les cartons de Raphaël.
Philippe le Hardi avait pris sous sa protection l'industrie d'Arras et rendit une ordonnance pour la réglementer ; les tapisseries de haute lisse n'y sont pas spécialement désignées, mais elles doivent être comprises dans les objets appelés Panni.
On connaît par les comptes de dépenses du duc Philippe le nom de ses fabricants de tapisserie d'Arras et autres villes ; ce sont :
Huwart Vallois, d'Arras (1385) ; Jehan Gosset, bourgeois d'Arras (1385) ; Michel Bernart, bourgeois d'Arras (1385) ; Jehan Hennin (1403) ; Jehan de Nuesport (l393),
Plus tard, on trouve sous les regnes suivants:
Jehan Renoult, d'Arras (1413) ; Jehan Vallois, d'Arras (1413) ; Guy de Termois (1419) ; Jehan de Florenne, rentrayeur à Valenciennes (1418) ; Guillaume Conchyz, de Bruges (1441) ; Jehan Arnoulphin (1422) ; Jehan Codyc, Robert Davy, Jehan de l’orthie (1448) ; Jehan de Rave (J466) ; Camus de Gardin (1495) ; Anthoine Grenier.
Outre la cour de Bourgogne, Arras avait le monopole, pour ainsi dire, de toutes les commandes princières. Il est fait mention, dans l'inventaire de Charles V, d'un drap de l'œuvre d'Arras : Histoire des faits et batailles de Judas Machabée et d'Antiochus.
Nous avons la preuve que beaucoup de tapisseries, vendues à cette époque par les marchands de Paris, provenaient des fabriques d'Arras. Le 24 novembre 1395, Louis d'Orléans fait payer à Dordin Jacquet, marchand et bourgeois de Paris, 1800 L. pour trois tappis de haute lice, en fil fin d'Arras, ouvrés à or de Chypre contenant deux histoires ; celle du Credo, avec les douze Prophètes et les douze Apôtres, l'autre représentant le courounement de Notre-Dame.
Deux tentures pareilles se retrouvent dans l'inventaire des joyaux, ornements d'église, vaisselle, tapisserie, livres, tableaux de Charles-Quint, dressé à Bruxelles, en mai 1536, communiqué par M. Michelant, directeur adjoint du département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de Paris :
« Un grand tapis aussi d'or du grant Credo, et le petit, et y sont les XII Apostres et les XII Prophètes, et y est escript en rolletz tout le Credo, contenans y comprins un élargissement au bas, six aulnes de haut et vingt- neuf aulnes et demi de long. »
Dans l'inventaire de la tapisserie de M r Philippe, duc de Bourgogne et de Brabant1, on note : une riche chambre de tapisserie de haulte lice, de fils d'Arras, appelée la chambre du couronnement de Notre-Dame.
Le prince Louis d'Orléans paya, le 24 novembre 1395, à Dionnys ou Diennys Alain, marchand de Paris, un grand tapis de houlte tioe, ouvré ct l'ystoire de Dieu. Ces tapisseries de l'ystoire de Dieu devaient représenter les mêmes sujets que les cinq tapis de haulte lice, de l'ouvrage d'Arras, figurant la Nativité de N.-S. ; la Résurrection du Ladre, la Passion, le crucifiement de N.-S. et quinze signes et Jugements de N.-S., achetées à Jehan de Vallois, d'Arras, en 1440, par Philippe le Bon.
Il y avait donc abondance de tapisseries aux XIVe et XVe siècles, et lorsqu'on connaît la lenteur de cette fabrication, le temps nécessaire pour former un ouvrier capable, l'importance des pièces qu'on exécutait, tant à cause de leurs dimensions que de la richesse des matières premières, on comprend facilement que les tapissiers d'Arras eussent peine à satisfaire à toutes les demandes. Les salaires devaient être assez élevés ; aussi, tous les ouvriers dont la profession se rapprochait de l'industrie des tapisseries, brodeurs, tapissiers, peintres, tailleurs d'images, y accouraient en foule, non seulement dès bourgs de la province, mais de Lille, de Valenciennes, de Paris, du fond de la Belgique et de la Hollande, afin d'obtenir le droit de bourgeoisie et de remplir les conditions nécessaires pour l'exercice de cette fabrication ; le travail pressait, et on admettait les nouveaux venus aux conditions les plus bénignes. « Collart de Hardaing fut admis, sous la condition qu'il ferait une image de Notre Dame, suivant sa conscience et volonté. » (Abbé Proyard, Recherches sur les tapisseries d'Arras.)
C'est de cette époque que datent les tapisseries faites pour la cathédrale de Tournay, et qui retracent divers épisodes de la vie de saint Prat et de saint Éleuthère. Elles portent la date de 1402, et ont été fabriquées par Pierot frères.
La prospérité d'Arras ne s'arrêta que lors de la prise de cette ville par Louis XI, et Bruxelles hérita de la réputation de son ancienne rivale. Les tapisseries, dont nous avons la nomenclature, et qui faisaient partie du riche mobilier des ducs de Bourgogne, représentaient, soit des sujets religieux, tirés de l'Ancien ou du Nouveau Testament, soit les scènes de chevalerie, dont le récit avait bercé leur enfance et surtout les grandes batailles dont ils étaient sortis vainqueurs;


1. V. De Laborde, duc de Bourgogne.
2. Mais cette abondance de tapis et de tentures ne se trouvait pas ailleurs que dans les églises, chez les princes et les hauts dignitaires ecclésiastiques comme le fait remarquer M. Francisque Michel, dans son ouvrage sur la fabrication et le commerce des étoffes précieuses au moyen âge.


L'histoire de saint Jean-Baptiste ;
L'Apocalypse de saint Jean ;
L'histoire de N. -S. ;
L'histoire de la sainte Viergs ;
Le grand et le petit Credo ; l'histoire d'Esther ;
« De grandes pièces de 210 aunes carrées, faites et ouvrées de plusieurs fils d'or, et représentant des images de plusieurs archevêques et rois, et histoires de l'union de la sainte Eglise, comme celle qui fut payée 4000 livres monnaie royale, en 1419, à la veuve de Guy de Termois ;
« Les trois tapis de l'Église militante ouvrés d’or, où on voit représenté Dieu le père assis en majesté et a plusieurs cardinaux autour de lui, et par-dessous lui, plusieurs princes qui lui présentent une église ;
« L'histoire d'Alexandre le Grand, d'Annibal, de Carthage, de Troie la grande, de Scipion, de Charlemagne, de Bertrand Duguesclin, la vengeance de Notre-Seigneur ou la destruction de Jérusalem par Vespasien et Titus ; l'histoire des neuf Preux et des neuf Preuses, de Renaud de Montauhan, du roi Arthur, des douze pairs de France, du roi Clovis, de Godefroy de Bouillon, de Parceval le Gaulois, de Tristan le Léonnais, de Sémiramis, etc ;
Des allégories, comme la tapisserie « ou on voit des dames faisant figure de personnages, qui tendent à honneur ; » les Vices et les Vertus ;
« La tenture de la chambre de Plaiderie d'Amours, où il y a plusieurs personnages d'hommes et de femmes, et plusieurs écritures d'amours en roillaux. »
Ailleurs, ce sont des scènes de chasse, soit des dames et des cavaliers chassant le héron avec des faucons (des voleries), soit des chasseurs poursuivant des cerfs ou traquant des bêtes fauves.
La chambre dite des petits Enfants est minutieusement décrite dans l'inventaire de Philippe le Bon: « Une riche chambre de tapisserie, de fils d'Arras, de haulte lice, appelée la chambre aux petits enfants, garnie de ciel, dossiel et couverture de lict, oute ouvrée d'or et de soye, et sous les dits dossiel et couvertures de lict, sont semés d'arbres et herbaiqes et petits enfants. Et au bout d'en hault, faict de treilles et roziers à roses sur champ vermeil, sans aultre ouvrage, mais les gouttières d'icelle sont de pareilles semeure que le dict dossiel et couverture, tout à fait d'or et de soye. »
Les grands sujets, comme les batailles de Rossebeke, de Liége, l'histoire de la Toison d'or, de Jason ou de Gédéon ; comme l'Église se hâta de la baptiser, étaient destinées à décoller les salles de les,tins et, de cérémonies.On réservait pour les chambres les scènes champêtres, les bergeries, les verdures, les figures de belles dames, portant à la main des banderoles sur lesquelles sont écrites des devises d'amour ; parfois même, des sujets mythologiques, comme « l'hystoire d'Helcanus qui a perdu sa dame, » ou pour mieux dire l'histoire de Vénus et de Vulcain.
On a de la peine à démêler, à première vue, les véritables sujets représentés par ces tapisseries. Jusqu'au commencement du XVIe siècle les motifs en sont empruntés aux fabliaux, romans de chevalerie et moralités, qui avaient cours à cette époque. La réalité disparaît sous les fictions enfantées par l'imagination du moyen âge, qui avait combiné les fables les plus chimériques avec quelques débris de vérités qui avaient traversé les siècles :
Les motifs de la « bonne histoire ancienne, » envoyée à Bajazet, ne devaient pas être tirés de Quinte-Curee, ni de Plutarque, mais plutôt du roman d'Alexandre Pâris, composé des plus incroyables aventures du héros Macédonien, mêlées de quelques événements du règne de Louis VII, et dans lequel la reine Isabelle, fille de Philippe-Auguste, brode la tente de Darius. Le Charlemagne connu alors était le Charlemagne des légendes ; qui abordait de plein pied de Terre Sainte en Irlande ; le héros du plus ancien roman de chevalerie, le Charlemagne de Turpin, qui entendait de Saint-Jean-Pied-de-Port l'olifant de Roland, son neveu, victime de la perfidie du traître Gànelon ,et expirant dans les gorges de Roncevaux, après avoir fendu des rochers avec sa Durandal, qu'il brisa pour l'empêcher de tomber entre les mains des mécréants.
La chevalerie, qui résumait les mœurs du moyen âge et les tendances de l'époque, y figurait dans ses plus brillants héros. On voyait s'y dérouler, ditos plusieurs scènes, séparées par des arceaux gothiques, l'épopée de Renaud de Mautauhan, qui, après avoir tué Berthoro, neveu de Charlemagne, d'un coup d'échiquier d'or massif, s'enfuit avec ses trois frères, montés comme lui sur le cheval Bayart, puis se réfugia dans son château de Montauban, où, aidé de son cousin, l'enchanteur Maugis, il brava la colère de Charlemagne et des douzes pairs, dont il brûla la barbe, une nuit pendant qu'ils dormaient. Enfin, pour expier ses fautes, on le voit aidant à bâtir la cathédrale de Cologne, où des goujats Allemands, jaloux de sa force, l'écrasèrent sous une pierre.
Puis c'était Arthur, fils de Pendragon ; le preux Tristan le Léonnois, Lancelot du Lac, Galaad, Perseval le Gallois, allant conquérir le Saint-Graal, qui était, suivant les uns, la coupe dont se servit Notre Seigneur le jour de la Cène, et suivant les autres le vase dans lequel Joseph d'Arimathie recueillit le sang du Sauveur.
Le dessin de la tapisserie qui est nommée le Chatel de franchise (inventaire de Philippe le Bon), représentait sans doute une des aventures racontées dans les 22,000 vers de Jean de Meung et Guillaume de Lorris, qui composent le Roman de la Rose.
Avec le soin que prenaient les auteurs de ce poëme de décrire minutieusement leurs personnages jusque dans les plus petits détails des costumes, les scènes étaient faciles à composer.
Ailleurs, c'étaient des moralités ; nous copions, dans l'histoire du théâtre français, par M. Hippolyte Lucas, la description de la tapisserie qui fut apportée à Nancy, après la bataille du 5 janvier : 1477 .
« On retrouve sur les vieilles tapisseries l'esprit de ces moralités, et la superbe draperie qui ornait la tente de Charles le Téméraire représentait un de ces petits drames allégoriques. En voici la description : la scène est pleine d'intérêt et très ingénieuse. Dîner, Souper et Banquet sont trois mauvais compagnons dont il faut se défier. Ils vous engagent souvent plus loin qu'il ne faut, et vous jettent dans les mains d'Apoplexie, de ,Gravelle, de Fièvre, de Goutte et d'autres personnages de très mauvaise connaissance. Banquet surtout est plus perfide (lue les autres ; il ne rêve que méchants tours à jouer à ses convives, Lorsqu'il invite à ses fêtes PasseTemps, Bonne-Compagnie, Jy-boy-à-vous, Friandise, Toujours-disposé-à-s'y-rendre, il leur sert des plats de sa façon dont on se repent d'avoir goûté. Comme dans les anciens festins d'Égypte, apparaissent ensuite une foule de squelettes : ce sont la Mort et les pâles Maladies qui viennent assaillir ceux qui ne se modèrent pas assez dans les bombances que le traître a préparées. Alors Passe-Temps, Bonne-Compagnie, Friandise, J y-boy-à-vous, s'en vont se plaindre à dame Expérience assise sur
son trône, le sceptre à la main. Averroès et Galien se tiennent à côté d'elle comme juges. Remède est le greffier de ce tribunal. Dame Expérience se fait. amener les trois coupables, Dîner, Souper et Banquet. On condamne unanimement Banquet à être pendu; quant à Dîner et à Souper, comme ils sont indispensables après tout pour fournir à l'humaine nécessité, on les épargne, mais à condition qu'ils mettront toujours six heures d'intervalle entre eux. »
Parmi les tapisseries qui furent prises par les Suisses, à la bataille de Granson, et dont on trouve la description dans l'ouvrage de M. Jubinal ; les Tapisseries historiques, il existe une tenture dont le sujet a été emprunté à quatre tableaux de Roger Wan der Weyden, qui ornaient autrefois la grande salle de l'hôtel de ville de Bruxelles.
La biographie de ce peintre a été publiée par M. Alphonse Wauters ; elle fait connaître les travaux de ce grand artiste et l'influence qu'il exerça, dans le domaine de l'art, sur ses contemporains.
Roger Wan der Weyden (que les biographes italiens nomment Roger de Bruges), en s'établissant à Bruxelles, déplaça momentanément le centre de l'École Flamande ; ce brillant élève de Van-Eyke, qui l'avait initié à ses découvertes, n'hérita pas de tout le talent de son maître ; il adopta un naturalisme plus vulgaire et prépara une décadence plus rapide ; Memling, qui grandit pourtant sous ses auspices, sut se soustraire à la contagion et se montrer à la fois poète et coloriste ; mais d'autres, surtout Wan der Goës et Stuerbout, exagérèrent les défauts de ce peintre sans avoir toutes ses qualités.
Roger garda toute sa vie la charge de peintre de la ville qui fut créée pour lui probablement, par la commune de Bruxelles. On le qualifie quelquefois aussi de portraicteur de la ville ou de maistre ouvrier en peinture.
Ce fut pour la salle dans laquelle se réunissaient les bourgmestres, les échevins, les conseillers, qu'il exécuta quatre tableaux destinés à inspirer aux magistrats l'horreur du crime et l'amour de l'équité. Le sujet de chacune de ces peintures était expliqué par des inscriptions en lettres d'or placées au has des tableaux; nous les reproduisons:
1° Trajan, qui était païen, montait à cheval en hâte lorsqu'une veuve éplorée lui demande justice contre le meurtrier de son fils. L'empereur arrête la marche de l'armée jusqu'à ce qu'il ait donné satisfaction à la veuve.
2° Le pape Grégoire 1er passant devant la colonne Trajane se rappelle le zèle de cet empereur pour la justice et gémit de ce que ses bonnes actions n'avaient pas été agréées par Dieu ; il l'implora et reçut cette réponse miraculeuse : « Je lui fais grâce, mais évite soigneusement de me solliciter de nouveau pour un damné. » On recherche le corps de Trajan qu'on retrouve en poussière, sauf la langue.
Le héros de la seconde légende est Herkinbal ou Erkenhal de Burhan, ou de Bourbon l'Archambault. Cette ville du département de l'Allier fut le berceau et la résidence primitive des sires de Bourbon.
3° Le troisième sujet est la justice d'Herkinhal, plongeant un poignard dans le cœur de son neveu qui avait fait violence à une jeune fille. Herkinbal saisit de la main gauche par les cheveux son neveu agenouillé au pied de son lit, et de la main droite, lui enfonce un couteau dans la gorge.
4° Herkinbal se sentant Près de mourir fait venir, un évêque pour l'administrer ; le prélat part en refusant de donner la sainte communion il Herkinbal qui ne voulait pas se confesser, comme d'un crime, du meurtre de son neveu ; Herkinhal rappelle l'évêque et lui montre l'hostie sortie du ciboire qui est venue se placer d'elle-même dans sa bouche. Le prélat entonne les louanges du Seigneur.
On a retrouvé une tapisserie qui ornait jadis l'église de Saint-Pierre de Louvain dont le sujet avait été assurément inspiré par la vue des quatre tableaux de Roger ; elle a 4 mètres de hauteur sur 1,50 de longueur. L'architecture, d'un style renaissance déjà tourmenté, et les costumes semblent indiquer qu'elle date du XVIe siècle. L'artiste n'a pas exactement copié Roger, qui avait représenté la légende d'Herkinbal en deux tableaux ; sur la tapisserie, meurtre et la communion miraculeuse sont au même plan.
On voit Herkinbal couché sur un lit, la poitrine nue, montrant sa bouche à l'évêque qui lui a refusé
la communion et qui s'éloigne ; devant lui sont groupées quelques femmes ; tout près sont un grand nombre de personnes. Dans le haut, sur les côtés ; du lit, se trouvent deux tribunes d'où quelques personnages considèrent la scène. Plus latéralement à droite, on voit Herkinbal couché enfonçant un couteau dans le sein de son neveu ; à gauche, un jeune homme et une jeune fille se promènent dans un jardin.
Il y a quelques années, lorsqu'on exposa à Madrid les tapisseries de l'Escurial, qui, en fait de travaux de ce genre, possède la plus belle collection du monde, on exhiba une tenture dont la composition est due à Roger. C'est la tapisserie qui dans les inventaires de la maison d'Autriche figure sous le titre : Les Visches et les Vertus. M. Wauters nous donne la description de la pièce de l'infamie. La personnification de ce vice, entourée de la Trahison, du Scandale, qui lui font un cortége sinistre, gravit dans le ciel comme une planète de malheur, et répand sa funeste influence sur un groupe de grands coupables, parmi lesquels on distingue Sardanapale, Jézabel, Néron, etc. Les autres tentures aussi tissées d'or et de soie, symbolisent des vertus, Foi, Bonheur, Gloire, Prudence ; on y voit représenté l'Apocalypse.
Dans la biographie de Roger de Bruges, Van Mander dit : « A cette époque on avait encore l'habitude de garnir, comme de tapisseries, les salles de vastes toiles sur lesquelles étaient peintes de grandes figures avec des couleurs à la colle et au blanc d'œuf. En ces sortes d'ouvrages Roger était un excellent maître, et je crois avoir vu de lui à Bruges plusieurs de ces toiles qui étaient merveilleuses pour le temps et digne d'éloges ; car, pour exécuter de grandes figures, il faut avoir du génie et posséder à fond la science du dessin, dont les défauts sont beaucoup moins apparents dans les peintures de moindres dimensions. »
Ces vastes toiles dont parle Van Mander étaient peut-être dés patrons de tapisseries qu'on avait recueillis et qui étaient conservés précieusement.
L'habitude qu'avait, Roger de travailler à la fresque et d'exécuter de vastes sujets, lui donnait de grandes facilités pour peindre des cartons pour tapisseries, qui exigent des contours très accusés et ne de mandent pas des tons aussi fondus que les peintures à l'huile.
Ce grand artiste, né vers 1390 ou 1400, mourut à Bruxelles en 1464.
Tapisserie tissée main à Aubusson Patrimoine de l'Unesco en 2009
Tapisserie d'Aubusson
Tapis d'Aubusson
Tapisserie à réaliser soi-même
e-boutique http://www.tapisserie-royale-aubusson.fr
Tapisserie d'Aubusson


haut de page
© Tapisserie Royale - Design Anatha - Réalisé par KerniX - Plan du site - Aubusson