Tapisserie-royale

TAPIS DE SAVONNERIE D'AUBUSSON
III

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Deux tentures pareilles se retrouvent dans l'inventaire des joyaux, ornements d'église, vaisselle, tapisserie, livres, tableaux de Charles-Quint, dressé à Bruxelles, en mai 1536, communiqué par M. Michelant, directeur adjoint du département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de Paris :
« Un grand tapis aussi d'or du grant Credo, et le petit, et y sont les XII Apostres et les XII Prophètes, et y est escript en rolletz tout le Credo, contenans y comprins un élargissement au bas, six aulnes de haut et vingt- neuf aulnes et demi de long. »
Dans l'inventaire de la tapisserie de M r Philippe, duc de Bourgogne et de Brabant1, on note : une riche chambre de tapisserie de haulte lice, de fils d'Arras, appelée la chambre du couronnement de Notre-Dame.
Le prince Louis d'Orléans paya, le 24 novembre 1395, à Dionnys ou Diennys Alain, marchand de Paris, un grand tapis de houlte tioe, ouvré ct l'ystoire de Dieu. Ces tapisseries de l'ystoire de Dieu devaient représenter les mêmes sujets que les cinq tapis de haulte lice, de l'ouvrage d'Arras, figurant la Nativité de N.-S. ; la Résurrection du Ladre, la Passion, le crucifiement de N.-S. et quinze signes et Jugements de N.-S., achetées à Jehan de Vallois, d'Arras, en 1440, par Philippe le Bon.
Il y avait donc abondance de tapisseries aux XIVe et XVe siècles, et lorsqu'on connaît la lenteur de cette fabrication, le temps nécessaire pour former un ouvrier capable, l'importance des pièces qu'on exécutait, tant à cause de leurs dimensions que de la richesse des matières premières, on comprend facilement que les tapissiers d'Arras eussent peine à satisfaire à toutes les demandes. Les salaires devaient être assez élevés ; aussi, tous les ouvriers dont la profession se rapprochait de l'industrie des tapisseries, brodeurs, tapissiers, peintres, tailleurs d'images, y accouraient en foule, non seulement dès bourgs de la province, mais de Lille, de Valenciennes, de Paris, du fond de la Belgique et de la Hollande, afin d'obtenir le droit de bourgeoisie et de remplir les conditions nécessaires pour l'exercice de cette fabrication ; le travail pressait, et on admettait les nouveaux venus aux conditions les plus bénignes. « Collart de Hardaing fut admis, sous la condition qu'il ferait une image de Notre Dame, suivant sa conscience et volonté. » (Abbé Proyard, Recherches sur les tapisseries d'Arras.)
C'est de cette époque que datent les tapisseries faites pour la cathédrale de Tournay, et qui retracent divers épisodes de la vie de saint Prat et de saint Éleuthère. Elles portent la date de 1402, et ont été fabriquées par Pierot frères.
La prospérité d'Arras ne s'arrêta que lors de la prise de cette ville par Louis XI, et Bruxelles hérita de la réputation de son ancienne rivale. Les tapisseries, dont nous avons la nomenclature, et qui faisaient partie du riche mobilier des ducs de Bourgogne, représentaient, soit des sujets religieux, tirés de l'Ancien ou du Nouveau Testament, soit les scènes de chevalerie, dont le récit avait bercé leur enfance et surtout les grandes batailles dont ils étaient sortis vainqueurs;


1. V. De Laborde, duc de Bourgogne.
2. Mais cette abondance de tapis et de tentures ne se trouvait pas ailleurs que dans les églises, chez les princes et les hauts dignitaires ecclésiastiques comme le fait remarquer M. Francisque Michel, dans son ouvrage sur la fabrication et le commerce des étoffes précieuses au moyen âge.


L'histoire de saint Jean-Baptiste ;
L'Apocalypse de saint Jean ;
L'histoire de N. -S. ;
L'histoire de la sainte Viergs ;
Le grand et le petit Credo ; l'histoire d'Esther ;
« De grandes pièces de 210 aunes carrées, faites et ouvrées de plusieurs fils d'or, et représentant des images de plusieurs archevêques et rois, et histoires de l'union de la sainte Eglise, comme celle qui fut payée 4000 livres monnaie royale, en 1419, à la veuve de Guy de Termois ;
« Les trois tapis de l'Église militante ouvrés d’or, où on voit représenté Dieu le père assis en majesté et a plusieurs cardinaux autour de lui, et par-dessous lui, plusieurs princes qui lui présentent une église ;
« L'histoire d'Alexandre le Grand, d'Annibal, de Carthage, de Troie la grande, de Scipion, de Charlemagne, de Bertrand Duguesclin, la vengeance de Notre-Seigneur ou la destruction de Jérusalem par Vespasien et Titus ; l'histoire des neuf Preux et des neuf Preuses, de Renaud de Montauhan, du roi Arthur, des douze pairs de France, du roi Clovis, de Godefroy de Bouillon, de Parceval le Gaulois, de Tristan le Léonnais, de Sémiramis, etc ;
Des allégories, comme la tapisserie « ou on voit des dames faisant figure de personnages, qui tendent à honneur ; » les Vices et les Vertus ;
« La tenture de la chambre de Plaiderie d'Amours, où il y a plusieurs personnages d'hommes et de femmes, et plusieurs écritures d'amours en roillaux. »
Ailleurs, ce sont des scènes de chasse, soit des dames et des cavaliers chassant le héron avec des faucons (des voleries), soit des chasseurs poursuivant des cerfs ou traquant des bêtes fauves.
La chambre dite des petits Enfants est minutieusement décrite dans l'inventaire de Philippe le Bon: « Une riche chambre de tapisserie, de fils d'Arras, de haulte lice, appelée la chambre aux petits enfants, garnie de ciel, dossiel et couverture de lict, oute ouvrée d'or et de soye, et sous les dits dossiel et couvertures de lict, sont semés d'arbres et herbaiqes et petits enfants. Et au bout d'en hault, faict de treilles et roziers à roses sur champ vermeil, sans aultre ouvrage, mais les gouttières d'icelle sont de pareilles semeure que le dict dossiel et couverture, tout à fait d'or et de soye. »
Les grands sujets, comme les batailles de Rossebeke, de Liége, l'histoire de la Toison d'or, de Jason ou de Gédéon ; comme l'Église se hâta de la baptiser, étaient destinées à décoller les salles de les,tins et, de cérémonies.On réservait pour les chambres les scènes champêtres, les bergeries, les verdures, les figures de belles dames, portant à la main des banderoles sur lesquelles sont écrites des devises d'amour ; parfois même, des sujets mythologiques, comme « l'hystoire d'Helcanus qui a perdu sa dame, » ou pour mieux dire l'histoire de Vénus et de Vulcain.
On a de la peine à démêler, à première vue, les véritables sujets représentés par ces tapisseries. Jusqu'au commencement du XVIe siècle les motifs en sont empruntés aux fabliaux, romans de chevalerie et moralités, qui avaient cours à cette époque. La réalité disparaît sous les fictions enfantées par l'imagination du moyen âge, qui avait combiné les fables les plus chimériques avec quelques débris de vérités qui avaient traversé les siècles :
Les motifs de la « bonne histoire ancienne, » envoyée à Bajazet, ne devaient pas être tirés de Quinte-Curee, ni de Plutarque, mais plutôt du roman d'Alexandre Pâris, composé des plus incroyables aventures du héros Macédonien, mêlées de quelques événements du règne de Louis VII, et dans lequel la reine Isabelle, fille de Philippe-Auguste, brode la tente de Darius. Le Charlemagne connu alors était le Charlemagne des légendes ; qui abordait de plein pied de Terre Sainte en Irlande ; le héros du plus ancien roman de chevalerie, le Charlemagne de Turpin, qui entendait de Saint-Jean-Pied-de-Port l'olifant de Roland, son neveu, victime de la perfidie du traître Gànelon ,et expirant dans les gorges de Roncevaux, après avoir fendu des rochers avec sa Durandal, qu'il brisa pour l'empêcher de tomber entre les mains des mécréants.
La chevalerie, qui résumait les mœurs du moyen âge et les tendances de l'époque, y figurait dans ses plus brillants héros. On voyait s'y dérouler, ditos plusieurs scènes, séparées par des arceaux gothiques, l'épopée de Renaud de Mautauhan, qui, après avoir tué Berthoro, neveu de Charlemagne, d'un coup d'échiquier d'or massif, s'enfuit avec ses trois frères, montés comme lui sur le cheval Bayart, puis se réfugia dans son château de Montauban, où, aidé de son cousin, l'enchanteur Maugis, il brava la colère de Charlemagne et des douzes pairs, dont il brûla la barbe, une nuit pendant qu'ils dormaient. Enfin, pour expier ses fautes, on le voit aidant à bâtir la cathédrale de Cologne, où des goujats Allemands, jaloux de sa force, l'écrasèrent sous une pierre.
Puis c'était Arthur, fils de Pendragon ; le preux Tristan le Léonnois, Lancelot du Lac, Galaad, Perseval le Gallois, allant conquérir le Saint-Graal, qui était, suivant les uns, la coupe dont se servit Notre Seigneur le jour de la Cène, et suivant les autres le vase dans lequel Joseph d'Arimathie recueillit le sang du Sauveur.
Le dessin de la tapisserie qui est nommée le Chatel de franchise (inventaire de Philippe le Bon), représentait sans doute une des aventures racontées dans les 22,000 vers de Jean de Meung et Guillaume de Lorris, qui composent le Roman de la Rose.
Avec le soin que prenaient les auteurs de ce poëme de décrire minutieusement leurs personnages jusque dans les plus petits détails des costumes, les scènes étaient faciles à composer.
Ailleurs, c'étaient des moralités ; nous copions, dans l'histoire du théâtre français, par M. Hippolyte Lucas, la description de la tapisserie qui fut apportée à Nancy, après la bataille du 5 janvier : 1477 .
« On retrouve sur les vieilles
son trône, le sceptre à la main. Averroès et Galien se tiennent à côté d'elle comme juges. Remède est le greffier de ce tribunal. Dame Expérience se fait. amener les trois coupables, Dîner, Souper et Banquet. On condamne unanimement Banquet à être pendu; quant à Dîner et à Souper, comme ils sont indispensables après tout pour fournir à l'humaine nécessité, on les épargne, mais à condition qu'ils mettront toujours six heures d'intervalle entre eux. »
Parmi les tapisseries qui furent prises par les Suisses, à la bataille de Granson, et dont on trouve la description dans l'ouvrage de M. Jubinal ; les Tapisseries historiques, il existe une tenture dont le sujet a été emprunté à quatre tableaux de Roger Wan der Weyden, qui ornaient autrefois la grande salle de l'hôtel de ville de Bruxelles.
La biographie de ce peintre a été publiée par M. Alphonse Wauters ; elle fait connaître les travaux de ce grand artiste et l'influence qu'il exerça, dans le domaine de l'art, sur ses contemporains.
Roger Wan der Weyden (que les biographes italiens nomment Roger de Bruges), en s'établissant à Bruxelles, déplaça momentanément le centre de l'École Flamande ; ce brillant élève de Van-Eyke, qui l'avait initié à ses découvertes, n'hérita pas de tout le talent de son maître ; il adopta un naturalisme plus vulgaire et prépara une décadence plus rapide ; Memling, qui grandit pourtant sous ses auspices, sut se soustraire à la contagion et se montrer à la fois poète et coloriste ; mais d'autres, surtout Wan der Goës et Stuerbout, exagérèrent les défauts de ce peintre sans avoir toutes ses qualités.
Roger garda toute sa vie la charge de peintre de la ville qui fut créée pour lui probablement, par la commune de Bruxelles. On le qualifie quelquefois aussi de portraicteur de la ville ou de maistre ouvrier en peinture.
Ce fut pour la salle dans laquelle se réunissaient les bourgmestres, les échevins, les conseillers, qu'il exécuta quatre tableaux destinés à inspirer aux magistrats l'horreur du crime et l'amour de l'équité. Le sujet de chacune de ces peintures était expliqué par des inscriptions en lettres d'or placées au has des tableaux; nous les reproduisons:
1° Trajan, qui était païen, montait à cheval en hâte lorsqu'une veuve éplorée lui demande justice contre le meurtrier de son fils. L'empereur arrête la marche de l'armée jusqu'à ce qu'il ait donné satisfaction à la veuve.
2° Le pape Grégoire 1er passant devant la colonne Trajane se rappelle le zèle de cet empereur pour la justice et gémit de ce que ses bonnes actions n'avaient pas été agréées par Dieu ; il l'implora et reçut cette réponse miraculeuse : « Je lui fais grâce, mais évite soigneusement de me solliciter de nouveau pour un damné. » On recherche le corps de Trajan qu'on retrouve en poussière, sauf la langue.
Le héros de la seconde légende est Herkinbal ou Erkenhal de Burhan, ou de Bourbon l'Archambault. Cette ville du département de l'Allier fut le berceau et la résidence primitive des sires de Bourbon.
3° Le troisième sujet est la justice d'Herkinhal, plongeant un poignard dans le cœur de son neveu qui avait fait violence à une jeune fille. Herkinbal saisit de la main gauche par les cheveux son neveu agenouillé au pied de son lit, et de la main droite, lui enfonce un couteau dans la gorge.
4° Herkinbal se sentant Près de mourir fait venir, un évêque pour l'administrer ; le prélat part en refusant de donner la sainte communion il Herkinbal qui ne voulait pas se confesser, comme d'un crime, du meurtre de son neveu ; Herkinhal rappelle l'évêque et lui montre l'hostie sortie du ciboire qui est venue se placer d'elle-même dans sa bouche. Le prélat entonne les louanges du Seigneur.
On a retrouvé une tapisserie qui ornait jadis l'église de Saint-Pierre de Louvain dont le sujet avait été assurément inspiré par la vue des quatre tableaux de Roger ; elle a 4 mètres de hauteur sur 1,50 de longueur. L'architecture, d'un style renaissance déjà tourmenté, et les costumes semblent indiquer qu'elle date du XVIe siècle. L'artiste n'a pas exactement copié Roger, qui avait représenté la légende d'Herkinbal en deux tableaux ; sur la tapisserie, meurtre et la communion miraculeuse sont au même plan.
On voit Herkinbal couché sur un lit, la poitrine nue, montrant sa bouche à l'évêque qui lui a refusé
la communion et qui s'éloigne ; devant lui sont groupées quelques femmes ; tout près sont un grand nombre de personnes. Dans le haut, sur les côtés ; du lit, se trouvent deux tribunes d'où quelques personnages considèrent la scène. Plus latéralement à droite, on voit Herkinbal couché enfonçant un couteau dans le sein de son neveu ; à gauche, un jeune homme et une jeune fille se promènent dans un jardin.
Il y a quelques années, lorsqu'on exposa à Madrid les tapisseries de l'Escurial, qui, en fait de travaux de ce genre, possède la plus belle collection du monde, on exhiba une tenture dont la composition est due à Roger. C'est la tapisserie qui dans les inventaires de la maison d'Autriche figure sous le titre : Les Visches et les Vertus. M. Wauters nous donne la description de la pièce de l'infamie. La personnification de ce vice, entourée de la Trahison, du Scandale, qui lui font un cortége sinistre, gravit dans le ciel comme une planète de malheur, et répand sa funeste influence sur un groupe de grands coupables, parmi lesquels on distingue Sardanapale, Jézabel, Néron, etc. Les autres tentures aussi tissées d'or et de soie, symbolisent des vertus, Foi, Bonheur, Gloire, Prudence ; on y voit représenté l'Apocalypse.
Dans la biographie de Roger de Bruges, Van Mander dit : « A cette époque on avait encore l'habitude de garnir, comme de tapisseries, les salles de vastes toiles sur lesquelles étaient peintes de grandes figures avec des couleurs à la colle et au blanc d'œuf. En ces sortes d'ouvrages Roger était un excellent maître, et je crois avoir vu de lui à Bruges plusieurs de ces toiles qui étaient merveilleuses pour le temps et digne d'éloges ; car, pour exécuter de grandes figures, il faut avoir du génie et posséder à fond la science du dessin, dont les défauts sont beaucoup moins apparents dans les peintures de moindres dimensions. »
Ces vastes toiles dont parle Van Mander étaient peut-être dés patrons de tapisseries qu'on avait recueillis et qui étaient conservés précieusement.
L'habitude qu'avait, Roger de travailler à la fresque et d'exécuter de vastes sujets, lui donnait de grandes facilités pour peindre des cartons pour tapisseries, qui exigent des contours très accusés et ne de mandent pas des tons aussi fondus que les peintures à l'huile.
Ce grand artiste, né vers 1390 ou 1400, mourut à Bruxelles en 1464.
Tapis d'Aubusson et Tapisseries d'Aubusson inscrits au Patrimoine de l'Unesco en 2009
Tapisserie d'Aubusson
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