Tapisserie-royale

DECORATION TAPISSERIE D’AUBUSSON
VI

L'ordonnance de 1601 (11 septembre) fut l'événement le plus favorable à la prospérité d'Aubusson. En défendant l'entrée en France des tapisseries étrangères, le roi débarrassait les fabriques de la Marche de la concurrence des Flamands, contre lesquels elle ne pouvait lutter que par le bas prix de ses produits. Voici le texte de cette ordonnance, qui énonce les différents genres de tapisseries usités à cette époque :
« De par le roy, deffences sont faites à tous marchands tapissiers et autres, de quelque estat et condition qu'ils soient de faire dorenavant apporter, venir et entrer dans ce royaume, aucunes tapisseries à personnaqes, boccaqes ou verdures, des pays étrangers, lesquelles Sa Majesté a défendues sous peine de confiscation d'icelles, dont le tiers appartiendra à sa dicte Majesté, un autre au dénonciateur, et l'autre à ceux de la compagnie des maîtres ouvriers et tapissiers auxquels sa Majesté l'a affecté; ce qui sera publié en tous lieux et endroits que besoin sera, pour avoir la dicte deffense lieu, du jour que la publication en sera faite ..... »
Si l'édit fut rigoureusement appliqué, Aubusson et Felletin jouirent d'une espèce de monopole qui explique le nombre d'ouvriers qu'elles occupaient. D'après M. Pérathon, ce chiffre aurait été, en 1637, en y comprenant les apprentis, de 2000 pour la seule ville d'Aubusson. Les ouvriers des Gobelins ne faisaient qu'ouvrages de prince, et les haute-lissiers de Paris ne pouvaient pas entrer en concurrence, comme prix de revient, avec les tapissiers d'Aubusson qui, travaillant sur des métiers à basses lisses, produisaient plus vite, et, par conséquent, à bien meilleur marché. Déjà avant cette époque, les marchands d'Aubusson venaient à Paris vendre leurs produits. Par un arrêt du conseil, du 1er février 1620, les tapissiers d'Aubusson et lieux circonvoisins furent maintenus dans l'exemption des droits de douane, pour les tapisseries qu'ils feraient transporter à Paris, provenant de leurs manufactures, comme il sen avaient joui par le passé. »
Les fabriques de la Marche avaient une partie de la riche clientèle des églises, ce qui prouve que leurs produits jouissaient d'une certaine célébrité.
M. Louis Paris en cite un exemple (Toiles peintes de la ville de Reims, Paris, 1843) :
« Des dons faits à cette époque.augmentèrent la précieuse collection de l'église métropolitaine de Reims: le chapitre lui-même pourvoyait à ses besoins, en ce genre. Nous voyons notamment un traité fait par devant notaire, à la date du 17 janvier 1625, par lequel un sieur Lombard, marchand tapissier en la ville d'Aubusson, diocèse de Limoges, s'oblige à faire et fournir au chapitre dans le délai de six mois : quatre pièces de tapisseries de Paris, semées de fleurs de lys jaunes, la première, à la figure de l'Assomption de Notre-Dame ; la deuxième, à la figure de la Vierge, qui tiendra Notre Seigneur Sur son bras ; la troisième, à la figure de saint Nicaise, et la quatrième plus grande, à la figure de monsieur Saint-Rémy. »
L'histore ne nous dit pas de quelle grandeur étaient ces quatre pièces, mais, si M. Lombard devait, dans le délai de six mois, qu'il avait demandé pour livrer la commande, faire préalablement exécuter les dessins que les tapissiers devaient reproduire, il est douteux qu'il ait pu livrer ses tentures à l'époque fixée, surtout si elles étaient faites en travail de Paris; c'est-à-dire en haute lisse; ce qui est fort difficile à reconnaître même à l'œil le plus exercé.
Cette facilité de production avait eu pour suite un abaissement dans le prix de vente des tapisseries. Un autre acte notarié, passé à Bellegarde, en 1634, et que nous transcrivons en entier, prouvera à quel prix étaient tombées les Verdures :
« A été présent, en personne, Jean du Pont, le jeune, fils de feu André, tapicier, résidant en ceste ville de Bellegarde, en Franc-Alleu, pays d'Auvergne, lequel, de son bon gré et volonté, a confessé avoir vendu et vend par ces présentes à sire Annet Railly, marchand, aussi résidant audit Bellegarde, présant et acceptant, scavoir: quarante haulnes de tapicceries en verdure, bonne marchandise, laquelle tapiccerie le dit du Pont a promis bailler et délivrer audit Railly, en ceste, dite ville, dans les premiers jours de febrier prochain venant, sans qu'il en puisse vendre ailleurs, que premier, il n’aye délivré et paié ladite tapiccerie ; et ce, moyennant la somme de quarante solz pour chascune haulne en carrée. En payement, et par avance, le dit du Pont, a confessé avoir heu et reçu du dit Railly la somme de trente-sept livres tournois, Iesquelles seront présentées sur les premières pièces de tapiccerie qu'il délivrera, et le surplus que se montera la dite besogne, ledit Railly a promys payer lors et quand il lui délivrera icelle, au prix de quarante solz pour . chacusne haulne.
« A l'entretennement de ce que dessus, lesdites parties se sont obligées, par arrest de leurs personnes et biens.
« Juré et reconnu ce faict, et passé au dict Bellegarde, en la maison dit notaire, en présence de Francois Mourellon, fils, à M. Michel et Georges Gommomet de Bussière-Nouvelle qui ont signé avec ledit Railly,et le dit du Pont a dit ne savoir signer. »
C'est un sentiment de tristesse qu'on éprouve en lisant attentivement cet acte; cette mention : ne scait pas signer, en parlant de du Pont, explique bien des choses. Le fabricant est complètement à la merci de l'acheteur, avec les conditions qui sont stipulées dans le marché. C'est de la bonne marchandise, en verdures que Du Pont doit fournir à Railly, pour la somme de quarante sous tournois l'aune carrée, et sur le payement de laquelle livraison, il a reçu une avance de 37 livres tournois! Cette commande de quarante aunes carrées qui devait être livrée dans l'espace d'un mois, prouve ou que du Pont avait beaucoup d'ouvriers à sa disposition, ou que les matières, chaîne et trame, n'étaient pas d'une grande finesse, et que le dessin de ces verdures était peu compliqué.
Les tapissiers d'Aubusson n'étaient guère plus lettrés que ceux de Bellegarde, ce qui ne les empêche pas de conclure des marchés par devant notaire et d'engager résolûment leurs personnes et leurs biens pour,garantir I'exécution de leur traité, comme le prouve le contrat que nous transcrivons ici:
« Le vingtième jour d'octobre 1746; à Limoges, maison et pardevant le notaire royal, soussigné, avant midi, fut présent Gilbert Roquet, marchand tapissier, de la ville de Busson, demeurant en cette ville, lequel de son plein gré et volonté a promis et promet par ces présentes, le révérend père Étienne Saige, recteur du collége des révérends pères de la compagnie de Jésus, établis au dit Limoges, présent et acceptant, lui faire une pièce de tapisserie, pour l'ornement de son église, représentant la dispute de l'enfant Jésus entre les docteurs, toute pareille de bonté, de qualité et façon à une autre pièce que ledit Roquet leur a faite,représentant l'Adoration des trois Rois, et leur rendre la dite pièce, bon et dûment faite, et parfaite, dans le jour et fête de saint Ignace, au mois de juillet prochain, et fournira, à cet effet, tout ce qui sera requis et nécessaire, sans que ledit père recteur soit tenu d'aucune chose quelle qu'elle soit, que seulement fournir un dessin de la dite pièce. La dite convention faite et acceptée, moyennant le prix et somme de vingt-quatre livres l'aune en carré, sur lequel prix total ledit révérend père recteur a payé audit Roquet, la somme de cent livres en bonne monnaie, bien nombrée par lui prise et reçue, qui s'en est contenté; le surplus payable; aune par aune, à proportion que ledit Roquet travaillera. A quoi faire et entretenir lesdites parties respectivement obligées, savoir ledit Roquet en sa personne et biens et ledit révérend père, recteur, les biens et revenus temporels dudit collège. »
Malgré le bas prix auquel ils livraient leurs marchandises, les fabricants d'Aubusson, paraît-il, savaient satisfaire leurs clients. La première pièce représentant l'Adoration des trois Rois avait été trouvée bonne, puisque la convention est que la seconde sera toute pareille de bonté. Peut-être la satisfaction du Révérend père venait-elle de la précaution qu'il avait prise de fournir lui-même le dessin de ladite pièce ?
Un inventaire du château de Saint-Priest (Loire); 21 décembre 1654, mentionne dès tapisseries d'Aubusson, que la désignation de vieilles et fortes vieilles, paraît faire remonter au règne de Henri IV, ou à l'époque des Valois:
« Chambre de Jarez ou du marquis de Saint-Priest, item. Neuf pautres ou pièces de vieille tapisserie d'Aubusson.
« Grande salle du château ou salle de réception, item, Sept pièces de tapisserie Aubusson en bergerie, scènes pastorales ou verdures.
« Chambre de la châtelaine, item. Cinq pièces de tapisserie Aubusson, en bergerie, pareille à icelle de la grande salle.
« Autre chambre, au-dessus de l'église, item, Deux pièces de tapisserie de Felotin, en bergerie.
« Chambre du grand Tremouchon, et plus, huit pièces de tapisserie Aubusson, fort vieilles. »
Les dessins de verdures étaient, pour la plupart, empruntés aux estampes flamandes de Pierre Breughel et de Paul Bril. Les douze mois de Pierre Stéphani, popularisés par le burin de Gilles Sadeler, se rencontrent fréquemment, ainsi que les quatre saisons de l'année, d'après Bassan. Quant aux bergers, ils étaient presque tous originaires du pays qu’arrose le Lignon.
La faveur qui avait accueilli l'œuvre de d'Urfé avait donné naissance à tonte une école de romans bucoliques. Sur beaucoup de tentures de l'époque, on retrouve des scènes inspirées par les bergeries de Racan ou par l'Astrée.
Dans une de ces chambres de tapisserie, on voit le berger Amindor, botté et éperonné, coiffé d'un feutre, la plume au vent, et l'épée au côté, accompagnant la bergère Sylvie (habillée comme Anne d'Autriche), dans son délicieux palais, qui est une construction du XVIe siècle, avec tours, créneaux et mâchicoulis ; plusieurs petits ponts rustiques sont jetés sur une rivière, bordée de roseaux, dans laquelle s'ébat tout un monde de volatiles, cygnes, hérons, canards, etc. Plus loin nous voyons Hylas et Céladon, jouissant de la belle veue de ces oyseaux célestes, terrestres et aquatiles, Si les traits de ces personnages ne sont pas encore irréprochables comme dessin, on reconnaît cependant que les peintres de tapisseries commencent à acquérir quelques notions de la perspective. Les premiers plans sont vigoureusement accusés et les teintes claires et effacées sont assez bien ménagées pour les lointains.
En comparant ces tapisseries avec celles qu'on fabriquait une trentaine d'années auparavant, on constate un progrès notable dans le tissu et clans la teinture.
Ce progrès était dû à l'arrivée, à Aubusson d'une véritable colonie de Flamands, qui vint s'y établir vers 1646 ou 1648, et qui comprenait, non seulement des tapissiers, mais encore des teinturiers. Il nous est difficile de savoir si ces étrangers vinrent se fixer à Aubusson, entraînés qu'ils étaient par l’espoir du gain, ou bien s'ils quittèrent leur pays à la suite de troubles politiques ou parce que le travail y faisait défaut. Quoi qu'il en soit, il fallait que la fabrique d'Aubusson eût une importance réelle pour attirer ainsi ces artisans d'élite.
Les indications mentionnées par quelques registres de la paroisse, nous donnent la date exacte de l'arrivée des tapissiers flamands à Aubusson:
« 1656. Mariage de Claude Alleaume, flamand, tapissier, résidant depuis cinq ans à Aubusson..
« Cinquième jour d'août a été baptisée Marie, fille à Frédérik Nicolas, maître tapissier, natif de BruxeIles en Flandre, et à Marie Deschamps ses père et mère. (18 décembre 1660 ensevely Jeanne Mage la Flamande âgée de 58 ans. »
Nous retrouvons encore aujourd'hui dans quelques familles les noms de ces Flamands qui s'établirent et se marièrent à Aubusson:
« 1664, 8 septembre. Mariage d'Antoine de Kant (ou Lecante), maître teinturier, né à Bruxelles, avec Catherine Boisvert.
« 1665. Mariage de Maurice Pain, teinturier à Bruxelles, etc.
« 2 décembre 1666, ensevely Frédérik Perklain Flamand, habitué de cette ville depuis les 20 ans derniers, âgé de 55 ans. »
Quelques-uns de ces étrangers appartenaient à la religion réformée. On lit à la date du 9 décembre: « 1674, abjuration de Magdeleine Provosth, âgée de 22 ans. »
A chaque instant on retrouve, dans les termes employés pour la fabrication, le souvenir des Flamands ; outre le métier à basses lisses qui est bien d'importation flamande, à Aubusson on se sert comme à Bruxelles du mot de patron, pour désigner le dessin qu’on place sous la chaîne des métiers à basses lisses.
Le prix des tapisseries, comme cela se pratiquait en Flandre, est fait avec l'ouvrier « au baton.» qui était, avant la Révolution de 1789, le seizième de aune de 44 pouces.
En France, à Paris, les tapissiers sont placés sous le patronage soit de saint François d'Assise ou de saint Louis, roi de France, ou de sainte Geneviève de Paris; à Aubusson, la patronne des tapissiers est sainte Barbe, dont le culte paraît avoir été apporté dans cette ville par les Flamands. Sainte Barbe est très vénérée en Flandre. Dans le Hainaut surtout, il y a peu d'églises, de chapelles de village où l'on ne trouve sa statue ou son image. Sur les tapisseries qui ornaient la chapelle des ducs de Bourgogne on remarquait l'image de sainte Barbe. Charles le Téméraire avait deux statues de saintes dans son oratoire: sainte Catherine et sainte Barbe.
Dans l'inventaire des bijoux, bagues, ornements d'église, tapisseries, et autres joyaux appartenant à Philippe II, fait à Bruxelles en mars 1658 avant Pasques, on mentionne deux statues seulement, celle de la Vierge mère, et une image de sainte Barbe, tenant une tour et une plume (une palme) en argent doré.
A Aubusson, la patronne des tapissiers est aussi représentée tenant une palme de la main droite, et supportant une tour avec la main gauche.


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