Tapisserie-royale

TAPISSERIE D'AUBUSSON ŒUVRE ORIGINALE
IX


Les tapisseries d'Aubusson depuis le règne de Louis XV jusqu'à nos jours. - Décadence des fabriques de Flandre.
« Les habitants d'Aubusson, écrivait en 1698 M. Le Vayer, intendant de la Généralité de Moulins, ont l'esprit subtil, inquiet… ; ils sont querelieurs, ennemis implacables… »
Ces haines implacables auxquelles M. l'intendant fait allusion avaient été provoquées par les discordes religieuses ; quant à l'épithète de querelleurs, elle était peut-être justifiée à ses yeux par les procès que les fabricants de tapisseries d'Aubusson étaient obligés de soutenir depuis 1624 contre les marchands tapissiers de Paris.
Nous avons eu la bonne fortune de retrouver le Mémoire que les fabricants de la Marche présentèrent à l'appui de leurs droits, et c'est encore dans ce curieux document que nous rencontrons les indications les plus précises relativement au commerce et à l'industrie des tapisseries en France.
Le commencement des hostilités entre Paris et Aubusson remontait à 1624, époque à laquelle les tapissiers de Paris manifestèrent pour la première fois la prétention d'assujettir les produits d'Aubusson et de Felletin à la visite et à la marque des jurés du métier de Paris. Il ne s'agissait pas d'une simple question de prééminence : le fond de la querelle était bien plus sérieux, car, en somme, les tapissiers de Paris voulaient « restreindre à quinzaine la faculté de vendre les tapisseries de la Marche, sans pouvoir demeurer toute l'année, ni les tenir en magasin. De là les procès que les fabricants de la Marche soutinrent énergiquement.
Enumérons rapidement les principaux incidents de cette lutte :
7 juin 1624 : Sentence du Châtelet rendue en faveur d'un fabricant d'Aubusson, ordonnant mainlevée de marchandises saisies à la requête des jurés tapissiers de Paris.
28 avril 1640 : Sentence qui déboute les tapissiers de Paris, prétendant interdire à ceux d'Aubusson et de Felletin le droit d'ouvrir un magasin à Paris, hors le temps des Foires (mainlevée avec dépens).
17 mai 1646 : Arrêt qui ordonne mainlevée d'un soubassement servant d'étalage et de deux pièces de tapisserie d'Aubusson. (Au XVIIe siècle on nommait soubassement un morceau de tapisserie attaché devant l'appui d'une fenêtre.)
2 avril 1676 : Sentence ordonnant mainlevée de quatre pièces de tapisserie d'Aubusson, que les tapissiers de Paris voulaient assujettir à la marque, avec dépens.
La visite et la marque étaient permises, mais sans pouvoir prétendre à aucun salaire, ni amende, et par les lettres patentes de 1665-1668, la visite et la marque sont absolument défendues.
I678, 1er mars : Sentence qui déboute les tapissiers de Paris, qui voulaient restreindre à quinze jours la faculté de vendre les tapisseries de la Marche :
21 janvier, 14 juin 1681 : Avis du procureur du Roy de sentence ordonnant mainlevée des tapisseries d'Aubusson qui étaient marquées d'un plomb aux armes du roi et de la ville.
19 juin 1682 : Sentence qui déboute les tapissiers de Paris de leurs prétentions à visiter les produits d'Aubusson qui étaient plombés, ordonne l'exécution des précédentes sentences et dit : que les tapissiers de Paris et d'Aubusson se porteront respect respectivement, et, condamne les tapissiers de Paris aux dépens.
4 septembre 1692 ; Sentence ordonnant mainlevée des soubassements mis aux portes des magasins des tapisseries de la Marche, qui avaient été saisis par les tapissiers de Paris.
7 mars 1681 : Sentence qui condamne Jean Bussière, tapissier rentrayeur à Paris, à ôter les tableaux, enseignes et inscriptions, et autres marques du « Magasin royal de tapisseries d'Aubusson, » qu'il avait fait mettre au devant de la maison, rue de la Huchette ; condamné à une amende de 10 livres et aux dépens.
En 1717, les tapissiers d'Aubusson dressèrent de nouveaux statuts réglant leurs droits, et en demandèrent l'homologation au Conseil.
Les tapissiers de Paris rédigèrent de leur côté d'autres statuts, dans lesquels nous lisons :
« Art. 1437. - Les tapisseries d'Aubusson et de Felletin seront assujetties à la visite et à la marque du métier de Paris. Il est enjoint aux tapissiers d'Aubusson de porter honneur et respect à ceux de Paris. Les tapisseries de la Marche devront être exécutées en lainé fines et en grand teint, »
A ces prétentions, les fabricants d'Aubusson et de Felletin répondirent par un mémoire vigoureux, où ils disaient :
« Qu'il n'appartient pas aux tapissiers de Paris de surveiller les manufactures de la Marche, qu'ils devraient se contenter de veiller à leurs propres ouvrages, ou plutôt qu'ils feraient bien mieux de commencer par apprendre leur métier... Qu'ils usurpent la qualité de tapissiers hauts lissiers, quand ils sont tout au plus rentrayeurs de vieilles tapisseries… Qu'on ne voit sortir de leurs mains aucun ouvrage neuf qui mérite l'approbation du public, et que ce sont des nouveaux venus qui pour se donner l’être ont été obligés de s'allier aux communautés des courte-pointiers et des couverturiers ... Qu'il a été nécessaire, en 1607, de faire venir à leur confusion des ouvriers des Pays-Bas pour leur apprendre leur métier, et qu'ils n'ont même pas su en profiter ... Que tout leur travail et leur art consistent à courir les inventaires, à cabaler, à former des associations illicites contre l'intérêt public et la liberté des transactions, à acheter toutes sortes de vieilles tapisseries, quelque défectueuses qu'elles soient, qu'ils rentrayent tant bien que mal pour les revendre et à faire le courtage des tapisseries neuves de, toutes provenances... Que la disposition du règlement de 1669, qui exige le fin et le grand teint, et la laine fine, n'a d'application qu'aux ouvrages du premier ordre, et nullement à ceux qui sont communs et grossiers, tels que la plus grande partie de ceux qui se fabriquent à Aubusson et à Felletin1.
« …Que les couleurs vertes et bleues qu'ils emploient sont solides, et que, pour les autres nuances, elles ne peuvent être que d'un teint ordinaire, bon à proportion de la qualité de l'ouvrage ...
« Que ces couleurs s'achètent chez les marchands de laine de Paris, où tout le monde se pourvoye ; qu'il n'y a que l'écarlate qui soit teint en fin, et que le fait est si constant, que sur cent livres de laine qui se vendent chez les marchands, il n'y en a pas dix de grand teint...
« Que cette disposition, que les tapissiers de Paris veulent introduire dans leur règlement, est toute nouvelle, et que depuis cinquante ans la majeure partie des ouvrages d'Aubusson et de Felletin ont été exécutés dans ces conditions sans qu'on ait jamais songé à les inquiéter à ce sujet...
« Que l'obligation de n'employer que des laines fines serait contraindre les fabricants de la Marche à ne faire que des ouvrages fins et de premier ordre, tandis que la majeure partie de leur production consiste en ouvrages communs et grossiers, qui sont achetés par le et les églises de province, qui ne veulent pas dépasser un certain prix et que tel peut bien acheter une tenture de tapisserie d'une valeur de quatre et cinq cents livres, qui n'a le moyen d'en acheter une de quinze, cents livres.
«... Que ce serait ruiner plus de dix mille familles, qui dans la Marche ne vivent que du commerce de la tapisserie, le pays étant stérile par lui-même, il n'y a que l'industrie qui les mette en état de subvenir à tous leurs besoins, de supporter les charges de toutes sortes et de payer les impositions.
« Que les bourgeois et autres citoyens moins opulents, même les étrangers, n'ayant pas le moyen d'acheter des tapisseries de Flandre, se contentent de celles d'Aubusson et de Felletin (dont la production annuelle s'élève à plus de 3,000 tentures) qui, quoique d'un

1. Nous avons vu dans les ordonnances de Charles-Quint qu'il n'y avait que les ouvrages d'un certain prix qui fussent assujettis au grand teint et à l'emploi des laines fines.


moindre prix, sont quand même bonnes en proportion, et servent à l'ornement des maisons et même des églises moins considérables...
« Que dans la confection des tapisseries de Flandre, les laines qu'on emploie pour les nuances des bordures ne sont pas toutes de teint fin, quoique le prix de ces tentures soit de beaucoup supérieur à celles d'Aubusson, et que même dans celles d'Oudenarde, qui sont les plus grossières, on est en usage d'ajouter plusieurs traits de peinture, ce qui ne se pratique pas dans celles de la Marche.
« …Qu'au surplus, les marchands et fabricants d'Aubusson et de Felletin ne prennent aucun intérêt, ni ne prétendent pas s'opposer aux statuts et règlements pour les ouvrages qui se feront à Paris, pourvu qu'ils n'y introduisent rien qui préjudicie aux fabricants de la Marche, qui ne sont en rien subordonnés à ceux de Paris, et qui sont gouvernés par leurs statuts particuliers… »
Le chiffre de trois mille tentures, auquel les marchands et fabrication d'Aubusson et de Felletin élevaient leur fabrication, nous parait quelque peu exagéré. Nous croyons qu'il eut été plus exact de dire : trois mille pièces de tapisseries, tant grandes que petites. De même, les manufactures d'Aubusson et de Felletin pouvaient faire vivre dix mille personnes, mais non pas dix mille familles, puisque d'après Le Vayer la population de la ville d'Aubusson n'était, en 1608, que de 2,100 habitants.
C'était, en grande partie, au prix réduit de leur fabrication que les tapissiers de la Marche devaient l'écoulement de leurs produits. En ce temps-là ; les ouvriers gagnaient peu, étaient accoutumés à vivre sobrement, et la plupart des matières premières se tiraient du pays même.
Les dessins, largement tracés, étaient d'une exécution facile. Mais cette production à bon marché ne s'obtenait qu'au prix de l'infériorité de la fabrication. Les causes du mal étaient toujours les mêmes : mauvaise préparation des laines et mauvais patrons.
Les sujets des tentures de luxe, nous l'avons dit plus haut, étaient tirés de gravures des œuvres des grands maîtres, mais les praticiens d'Aubusson, ignorant le dessin et, par suite, incapables de copier fidèlement leurs modèles, ne se faisaient pas faute d'en supprimer les parties que la maladresse les empêchait de reproduire, ou bien encore celles qu'ils estimaient devoir créer des difficultés aux ouvriers, pour l'exécution. En un mot, les modèles des
maîtres étaient travestis.
Les ordonnances de Louis XIV n'avaient pas été exécutées, en ce sens que l'on n'envoyé à Aubusson ni peintre, ni teinturier. Les fabricants, abandonnés à leurs seules ressources, ne pouvaient pas lutter pour les beaux produits avec les fabriques de Flandre, et en étaient réduits à ne travailler que pour le commun du royaume. »
Heureusement, les tapissiers de la Marche rencontrèrent un intrépide défenseur dans la personne de Fagon, fils du premier médecin du roi, d'abord maître des requêtes, puis intendant des finances et qui, plus heureux que les maréchaux de Villars et de Vendôme, a trouvé grâce devant Saint-Simon. « C'était, dit ce dernier dans ses Mémoires, le fils du premier médecin du feu roi, qui en ce genre (les finances) était d'une grande capacité et le montra bien dans la suite. »
Le 12 décembre 1730, le Conseil d'État approuvait un règlement concernant la manufacture de tapis d'Aubusson, qui confirmait les règlements de Colbert et établissait quelques dispositions nouvelles. Il fut autorisé par lettres patentes du 28 mai 1732. Voici l'analyse de ce règlement, qui comprend plus de trente articles.
Ceux qui voulaient se faire recevoir fabricants de tapisserie de haute et basse lisse étaient tenus de justifier par lettres et brevets qu'ils avaient fait au moins trois années d'apprentissage, et servi quatre autres années chez les maîtres en qualité de compagnons (art. 1er).
Les aspirants à la maîtrise étaient tenus de faire un chef-d'œuvre dans le bureau des jurés-visiteurs (art. 2).
On trouve encore quelques-uns de ces chefs d'œuvre. Ce sont, le plus souvent, des têtes d'après les tableaux de Vanloo, de Boucher ou de Watteau. Leur grandeur varie de 35 à 40 centimètres de hauteur, sur 30 à 35 centimètres de largeur. Ces études étaient encadrées par un petit champ bleu de France, dans lequel se lisaient le nom de l'ouvrier et le millésime. Pour exécuter un pareil travail, cinq ou six jours devaient sufire à un habile ouvrier.
Défense était faite aux femmes et aux filles de travailler à la fabrique des tapisseries de haute et basse lisse de la manufacture d'Aubusson et bourg de la Cour, à peine de 50 livres d'amende (art. 6).
Quels sont les véritables motifs d'une exclusion si sévère ? Nous l'ignorons, mais nous pensons que si elle était dictée, en partie, par un souci, très méritoire à celle époque, de l'hygiène publique, il faut y voir surtout la crainte, manifestée sans doute par les maîtres tapissiers, d'une baisse dans le taux des salaires, comme conséquence de la rémunération peu élevée du travail des femmes.
De nos jours, un grand nombre d'ouvrières sont employées par la fabrique d'Aubusson, et nous devons ajouter qu'en général elles font preuve de beaucoup d'aptitude pour ce genre de travail ; quelques-unes même possèdent un talent réel, surtout comme coloristes.
L'article 7 interdisait de fabriquer et de faire fabriquer aucunes tapisseries en haute et basse lisse hors de la ville et faubourgs d'Aubusson, et à 15 lieues à la ronde, à peine de confiscation des tapisserie, matières, métiers et ustensiles servant à leur fabrication, et de 300 livres d'amende.
Le bourg de la Cour et la ville de Felletin n'étaient pas compris dans cette interdiction.
Cet article fut-il appliqué rigoureusement ? Peut-être jusqu'en 1790 mais il tomba bientôt après en désuétude, et au commencement de ce siècle, vers 1810, dans les villages avoisinant la ville d'Aubusson, on se livrait en toute liberté à la fabrication des tapis. Les jours de marché, les gens de la campagne qui s'étaient rendus à la ville pour vendre leurs denrées, s'en retournaient, emportant avec eux leurs dessins et des laines assorties ;
Toutes les matières premières, laines et soies, qui entraient en ville devaient être déchargées devant le bureau des jurés-visiteurs. Les marchandises défectueuses étaient saisies et les contrevenants condamnés à une amende de 200 livres, que le juge ne pouvait ni remettre, ni modérer, pour quelque prétexte que ce fût (art. 8).
Le dégraissage des laines laissait souvent à désirer, soit que les matières grasses en usage pour la filature ne fussent pas épurées, soit que les procédés des teinturiers ou blanchisseurs fussent imparfaits. C'est pourquoi les maîtres fabricants et ouvriers étaient tenus de faire peigner et carder les laines avec de l'huile d'olive, et de les dégraisser on les faisant passer par une lessive douce faite avec de la gravelée et de la cendre fine de bois vert et neuf, et ensuite par une eau de savon. »
Les maîtres fabricants et ouvriers travaillant dans la ville et les faubourgs d'Aubusson et dans le bourg de la Cour étaient tenus de tisser, « autour de chaque pièce de tapisserie une bande bleue qui ne pouvait avoir plus d'un seizième d'aulne de largeur et de mettre dans la bande d'en bas le mot ; Aubusson, en caractères bien lisibles, avec les premières lettres de leurs nom et surnom, au métier et non à l'aiguille, à peine de 20 livres d'amende pour chaque pièce qui se trouvait en contravention, laquelle amende était payée solidairement tant par celui qui avait fait fabriquer que par celui qui avait fabriquée (art 11).
Les maîtres fabricants de tapisseries bureau de leur communauté qu'au-dessus des portes de leurs ateliers, l'inscription suivante :
MANUFACTURE ROYALE DE TAPISSERIES.
Tapis d'Aubusson et Tapisseries d'Aubusson inscrits au Patrimoine de l'Unesco en 2009
Tapisserie d'Aubusson
Tapis d'Aubusson
Tapisserie à réaliser soi-même
e-boutique http://www.tapisserie-royale-aubusson.fr

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