Tapisserie-royale

TAPIS DE SAVONNERIE D'AUBUSSON
III

Les tapisseries en Flandre. - Influence de la prise de Constantinople par les Croisés en 1203 sur l'art et l'industrie de la Flandre. - Organisation des métiers. - Lutte des cornmuniers de Flandre contre la féodalité. - Les tapisseries des ducs de Bourgogne. - Les premiers peintres flamands.- Roger Van der Weyden.

Nous avons vu que le nombre des maîtres tapissiers de Paris, sous le règne de Philippe le Bel, n'était que de vingt-quatre, et jamais pourtant l'usage des tapisseries comme tentures, comme draperies, comme cloisons mobiles ne rut aussi répandu qu'au moyen âge. Mais à cette époque le grand atelier de production était la Flandre, qui possédait tous les éléments propres à assurer le développement de cette industrie : une organisation spéciale des métiers, un remarquable choix de matières premières et une certaine connaissance de l'art de la peinture.
D'après les, commentateurs de Vasari, MM. Leclanché et Jeanron, cet art dut pénétrer dans les Pays-Bas avec la civilisation romaine, et s’y fixer avec le christianisme. On trouve, dans les anciennes chroniques de ces provinces, le témoignage de la protection qu'accordèrent aux peintres, les princes et les hauts dignitaires de l'Église, et un pays qui plus tard, grâce à son commerce et à son industrie, se plaça à la tête de la civilisation, ne dut pas se laisser devancer, dans cette branche, par la France et l'Allemagne ses voisines.
Fiorello dit que les religieuses d'un couvent flamand, de l'ordre de Saint-Benoît, consacraient leurs loisirs à l'étude de la peinture et que les Carmes de la ville de Harlem firent représenter sur les murs de leur église, les portraits de tous les comtes de Hollande jusqu'à Marie de Bourgogne. En 959, un évêque de Liége ornait son église de tableaux retraçant la vie de saint Martin, et en 1296, Anvers possédait six ateliers de peintres et sculpteurs.
La prise de Constantinople, par les Croisés, puis l'élévation au trône impérial du comte Baudouin, établirent des relations suivies entre les Flamands et les Grecs, Cet événement exerça une influence considérable sur l'industrie flamande, qui reçut de Byzance une véritable initiation aux arts de l'Orient. On se demande si ce sont des échantillons de tentures dans le genre de celles que décrivait saint Aster, qui, rapportés en Flandre, ont servi de types aux anciens fabricants de byrri, pour tisser des draps d'or imagiés, ou bien si des artisans flamands sont allés eux-mêmes à Constantinople observer les secrets de cette .industrie, ou encore, si elle a été introduite en Flandre par des artistes grecs envoyés par les empereurs à leurs cousins. Toujours est-il qu'on voit les Flamands, dans leurs peintures, et dans leurs tapisseries, repousser les coloris ternes et blafards, pour adopter ces nuances vigoureuses et ces tons éclatants qui semblent conserver comme un reflet du ciel de l'Orient,
Nous avons une preuve de l'échange de produits qui se faisait au XIIIe siècle entre les villes de Flandre et celles du Levant.
Guillaume le Breton (Philippide, livre IX) nous raconte qu'en 1213, lors de la guerre entre Philippe Auguste et le comte de Flandre, « à Dam qui était alors le port de Bruges, se trouvaient des richesses survenues de toutes les parties du monde : lingots d'or et d'argent, étoffes de Syrie, soies de la Sericane, tissus des îles de la Grèce, pelleteries hongroises, graines qui produisent la teinture écarlate, radeaux chargés de vins de la Gascogne et de la Rochelle, fers, métaux, draps de Lincoln et mille autres marchandises. »
Le Parlement avait, en 1299, prononcé la réunion de ces riches provinces à la couronne, et il fut alors possible à Philippe le Bel d'annexer sans verser une goutte de sang les Flandres à la France.
Meyer, Villani, Guillaume de Nangis, Oudegherst nous ont fait le récit de la réception que les Flamands, alléchés par les belles paroles du roi, firent à leur nouveau sire, lorsqu'au printemps de l'année : 1300 il alla visiter sa nouvelle conquête qui lui avait si peu coûté. Les fêtes que lui offrirent Gand, Bruges et Ypres furent splendides. Les gens des métiers, richement habillés, joutèrent comme des chevaliers, et le luxe qu'étalèrent ces gros bourgeois, couverts d'habits aux couleurs éclatantes, chargés de lourdes chaînes d'or, fit pâlir d'envides nobles besoigneux de France et la reine Jeanne de Navarre, qui s'écria à l'aspect des marchandes de Bruges, revêtues de leurs plus beaux atours : « J'avais cru jusqu'à présent que j'étais seule reine, mais j'en vois ici plus de six cents. » A la vue de tout ce déploiement de richesses, Philippe, au contraire, était ra-
. dieux ; il partit après avoir caressé ses nouveaux sujets par des promesses de maintenir leurs franchises, tout en se jurant bien d'assimiler l'administration de ce pays à celle de ses autres provinces, et surtout de leur faire suer de l'or.

Mais les Flamands, qui s'étaient jetés dans les bras du roi parce que leur comte avait violé leurs garanties, résistèrent lorsque leur gouverneur Jacques de Châtillon se mit à les rançonner.
D'abord trente chefs de métiers de cette ville de Bruges, qui avait si bien accueilli Philippe, vinrent se plaindre au gouverneur, disant qu'on violait leurs priviléges et qu'on ne payait pas les ouvrages commandés par le roi (des tapisseries peut-être). Jacques de Châtillon les fit arrêter, le peuplé s'assembla en armes, et les délivra. Cette émeute ouvrit la grande lutte que les communes de Flandre soutinrent contre-le pouvoir royal et surtout contre la féodalité. Elle fut longue et sanglante, acharnée de part et d'autre; lés combattants ne manquèrent jamais d'aucun coté. Quand une armée flamande. était écrasée, comme à Mons-en-Puelle, de ces glrosses fourmilières qui avaient nom Gand, Bruges, ou Ypres, il en sortait une seconde bien vêtue et bien armée. La déroute de Courtrai ne découragea pas non plus les chevaliers. « La grasse Flandre, dit-Michelet, était la tentation naturelle de tous ces gouvernements voraces. Pour tout ce monde de barons, de chevaliers, que les rois de France sevraient de croisades et de guerres privées, la Flandre était leur rêve, leur poésie leur Jérusalem. Tous étaient prêts à faire un joyeux pèlerinage aux magasins de Flandre, aux épices de Bruges, aux fines toiles d'Ypres, aux tapisseries d'Arras. »
Raconter ces luttes entre la féodalité et les gens des métiers, ces querelles entre ongles bleus (les ouvriers) et les manqeurs de foie (les marchands), c'est raconter en partie l'histoire de la tapisserie en Europe pendant cette période.
Les tapissiers formaient en Flandre la corporation la plus brillante, la plus relevée de la nation des tisserands, qui pendant ce temps de discorde se signala continuellement par sa turbulence et, il faut le dire, par son initiative et son courage. Leur nombre était considérable. D'après Oudegherst, (Chroniques de Flandre, p. 295), à Gand, les tisserands occupaient vingt-sept carrefours et formaient à eux seuls, un des trois membres de la cité. Autour d'Ypres ils étaient 200,000 en 1342 à Louvain, avant leur émigration en Angleterre vers 1382, ils étaient 50,000.
Ce furent les tisserands qui donnèrent le signal du massacre des Français à Bruges, le 21 mars 1302, et plus d'un baron à Courtrai dut périr sous les maillets de plomb des tapissiers. Après la prise d'Ypres ; en 1380, Louis de Nevers fit couper la tête à plus, de 700 foulons et tisserands ; et en 1382, cette corporation se fit bravement écraser en disputant au pont de Commines le passage de la Lys à l'armée française.
Le grand Jack Van Artewelde sortait d'une des plus notables familles du métier des tisserands ; le promoteur de la révolte de Bruges, en 1302, était, dit Meyer, un homme d'une soixantaine d'années, sorti du peuple, borgne, petit, à l'aspect dur, d'un grand courage, bon au conseil, prompt de la main, nommé Pierre le Roi, opificio textor pannorum, ce qu'on peut traduire par ouvrier en tapisserie. Placés comme un perpétuel objet de convoitise entre la France, l'Angleterre et l'Allemagne, obligés de lutter sans relâche contre la féodalité, les communiers des Flandres apprirent de bonne heure à défendre leurs franchises, et trouvèrent, dans le système des corporations, le développement et la sauvegarde de leur industrie.
Au premier coup de cloche, les gens de Gand, de Bruges, d'Ypres, etc., enrégimentés, bien armés, venaient se ranger sous la bannière de leurs métiers, et suivaient courageusement le chef qu'ils s'étaient donné, soit qu'il fallût, comme à Courtrai, se mesurer avec la chevalerie, soit qu'il s'agît de défendre les droits de la cité contre les empiétements d'une ville voisine, ou même d'écraser une rivale commerciale. La commune primitive avait fini par être absorbée dans la confrérie des métiers.
Un passage, que noustrouvons dans un mémoire publié par les magistrats d'Anvers au XVIIe, siècle, qui n'est ni daté ni signé, mais qui doit, d'après M. A. Wauters, remonter à l'époque des archiducs Albert et Isabelle, résume en quelques phrases la situation du pays et les idées autour desquelles gravita sa politique pendant plusieurs siècles : « Et que nous n'avons en temps de paix, pour nous garantir de ceste pauvreté, que les mains, l'industrie, diligence, et quasi continuel labeur et travail, c'est-à-dire, le trafficq et commerce, la navigation, la pescherie et les manufactures sans lesquelles le peuple ne se sçauroit maintenir et estre contenu eri obeyssance, ains seroit contraint de mal faire ou chercher des remuements en sa pauvreté… »
Édouard III savait bien qu'il frappait la Flandre au cœur, lorsque, voulant user de représailles contre Louis de Male, qui avait fait arrêter les sujets anglais qui se trouvaient dans ses États, il prohiba l'exportation des laines anglaises en Flandre, et ordonna de ne plus se servir que de draps ouvrés dans le pays (1336). Aussitôt que la disette de laines anglaises commença à se faire sentir sur les marchés de Flandre, les métiers cessèrent de battre et une foule d'ouvriers durent émigrer, faute d'ouvrage.
Depuis les cruautés qu'il avait exercées après la victoire de Cassel, victoire à laquelle il devait sa couronne, le comte Louis était odieux à ses sujets. En admettant les étrangers, les Français surtout, à la libre pratique du commerce et de l'industrie, et en soutenant les campagnes, il avait mécontenté les grandes villes qui prétendaient exercer un monopole ; la rupture des relations avec l'Angleterre amena l'explosion de la révolte qui depuis longtemps fermentait dans les esprits.
Un de ces hommes dans lesquels s'incarnent, à un moment donné, le génie et les aspirations d'un pays, le brasseur Jack Artewelde, « sorti d'une des plus notables familles du métier des tisserands, » dit Froissard, soutenu par les corps des métiers, prit la direction du mouvement, et engagea la lutte contre le parti français. Il assembla à Gand, les députés des trois grandes villes, Gand, Bruges et Ypres, « et leur montra que sans le roi d'Angleterre ils ne pouvaient vivre ; car toute la Flandre était fondée sur draperie, et sans laine on ne pouvait draper : » les Flamands alors chassèrent le comte et entrèrent en négociation avec Édouard.
Rien n'aurait pu vaincre la Flandre, si l'accord se fût toujours maintenu entre les grandes villes. Ce nom de Flandres, au XIVe siècle, n'exprimait pas un peuple, mais une réunion de plusieurs pays fort divisés, une agglomération de tribus et de villes. Outre la différence de races et de langues, les rivalités commerciales et politiques semaient des haines terribles entre les villes ; les différents corps de métiers, qui avaient chacun ses magistrats, sa justice, sa bannière, se jalousaient entre eux ; mais tous détestaient un souverain qui ne pouvait maintenir son autorité qu'en attisant les haines locales, pour dominer les villes les unes par les autres.
Si les Flamands étaient le premier peuple de l'Europe par les richesses et les franchises, l'intérieur de leurs cités était, en revanche, livré à toutes les passions, et à tous les emportements de l'anarchie.
Chez ce peuple de travailleurs, il y avait, excès de force, surabondance de vie ; les ouvriers, les tisserands surtout, qui faisaient de grands gains, hantaient les tavernes et les places publiques, toujours prompts à jouer du couteau.
Dans l'enceinte même de Gand, les foulons et les tisserands se livrèrent un combat furieux ; ces derniers, soutenus par Artewelde, écrasèrent les foulons ; et quelque temps après, Artewelde lui-même périssait, assassiné dans une émeute par un tisserand, nommé Thomas Denys. «Poures gens l'amon tèrent premièrement, dit Froissard, méchants gens le tuèrent en parfin. »
Les grandes villes faisaient peser une effroyable tyrannie sur les petites ; si quelques ouvriers, trouvant qu'ils payaient trop cher le dangereux honneur d'être de Messiew's de Gand, quittaient la ville pour s'établit, dans un village qui devenait alors un centre industriel, la grande cité commençait par interdire le travail dans la banlieue, puis si la concurrence devenait trop gênante, elle brisait les métiers de sa petite rivale.
La question des eaux fut pendant le XIVe et une partie du XVe siècle, une source de discordes perpétuelles entre les villes ; ce fut elle qui amena la terrible guerre de Gand, et cette fameuse bataille de Rossebeke, dont les ducs de Bourgogne de la maison de Valois aimaient tarit à voir la représentation sur leurs tapisseries.
Gand, qui était placée au centre des eaux, à l'endroit où se rapprochent les fleuves, ne voulait souffrir aucune innovation qui pût détourner le trafic des marchandises de la voie qu'il suivait ordinairement. Aussi, lorsque les habitants de Bruges, fiers d'un droit qu'ils avaient acheté du comte, voulurent creuser un canal pour y faire passer la Lys, les Gantois, furieux, sortirent de leur ville, se jetèrent sur les travailleurs de Bruges, qu'ils assommèrent ; la bannière du comte fut déchirée et son bailli fut tué.
Louis de Nevers vint à Gand pour interposer son autorité et essayer de dissoudre la confédération des Chaperons blancs, mais il y fut accueilli par des huées, et partit la rage dans le cœur.
Après avoir vainement imploré le secours de Charles V, qui lui refusa toute assistance, « car c'estoit le prince le plus orgueilleux qui fust, et celui que, plus volontiers, il eut mis à raison » (Froissard), il ne songea plus dès lors à réduire ses sujets à l'obéissance que par la terreur et les supplices. Les révoltés répondirent à ses cruautés par le meurtre de ses chevaliers et l'incendie de ses châteaux ; alors se déchaîna sur la Flandre une lutte implacable qui devait durer plusieurs années.
Un moment soutenus, puis abandonnés par les grandes villes que le comte était parvenu à ressaisir, les Gantois se montrèrent héroïques dans le danger et dignes de l'ascendant qu'ils voulaient prendre sur le reste de la Flandre.
Écrasés à Nivelles, le 13 mai 1381, ils semblèrent trouver encore dans leur défaite comme un redoublement d'énergie,
D'après les conseils d'un de leurs braves capitaines, nommé Peter Van denBosch, ils allèrent chercher dans sa maison, où il vivait paisiblement avec sa famille, le fils du fameux Jack Artewelde et le prirent pour chef. Le qrand Jack sembla revivre dans son fils Philippe, qui se montra digne de la mission que ses compatriotes lui avaient confiée.
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