Tapisserie-royale

DECORATION TAPISSERIE D’AUBUSSON
VI



Origine de l'industrie des tapisseries à Aubusson - Les Sarrasins - Louis de Bourbon, comte de la Marche, épouse Marie de Haynaut. - Tapisseries d'Aubusson, de Felletin. - Histoire de l'industrie de la tapisserie dans la Marche depuis les Valois jusqu'à Louis XlV.

Peu de villes industrielles, en Europe, jouissent d'une réputation égale à celle d'Aubusson, Ce renom, qu'elle doit plutôt au cachet artistique de ses produits, qu'à l'importance de sa fabrication, date de plusieurs siècles. Si l'on considère, en effet, de quelles difficultés cette industrie est entourée, les sacrifices de toutes sortes qu'ont dû faire, à certaines époques, les fabricants et les ouvriers pour l'empêcher de sombrer, au milieu de tant de crises politiques et commerciales, on reconnaîtra qu'Aubusson, qui, seule en Europe, après l'anéantissement des vieilles fabriques de Flandre, a conservé les traditions de cette antique industrie de la Tapisserie, mérite la distinction qui s'attache à son nom.
Nous ne parlons pas de la fabrication de Felletin qui se confond avec celle d'Aubusson, ni des manufactures des Gobelins et de Beauvais, qui, subventionnées par l'État, n'ont à s'occuper, ni du placement ni du prix de revient de leurs produits, et trouvent toujours à recruter un personnel d'élite, nourri d'études artistiques, qu'elles peuvent payer ce qu'il vaut.
Un certain mystère enveloppe les origines de la fabrique d'Aubusson; à défaut de traditions sérieuses, la légende s'en est emparée, et, plus tard, certains historiens, trompés par cette désignation de Tapissiers Sarrazinois, n'ont pas hésité à attribuer aux Arabes, venus d'Espagne, la fondation de la principale industrie de la Marche.
Cette allégation nettement formulée par M. Joullieton, en 1814, a été, depuis, reproduite par tous les écrivains qui ont eu à parler de l'industrie de la tapisserie. MM. Félix Leclerc et Cyprien Pérathon, en signalant, une émigration d'ouvriers Flamands dans la Marche, au XIVe siècle, ont, suivant nous, indiqué les véritables origines de la fabrication Aubussonnaise.
Voici ce que nous lisons dans Joullieton (Histoire de la Marche) :
« Une opinion assez répandue et assez vraisemblable rapporte à cette époque (732) les commencements de la ville d'Aubusson. Il n'y avait alors, dans le lieu qu'occupe cette ville, qu'un château fort, dont la tradition fait remonter la construction au temps de César, et qui fut bâti, suivant toute apparence, par les deux légions que plaça ce conquérant sur la frontière des Lemovices, non loin des Arverniens. Il était naturel, en effet, que ces légions se fortifiassent contre les attaques dont elles pouvaient devenir l'objet ; et le rocher sur lequel fut élevé ce fort, étant à peu près au milieu du cordon quelles formaient, ne pouvait pas mieux convenir à ce dessein. Le hasard voulut que des Sarrasins, détachés de la troupe dont nous venons de parler, arrivassent à ce lieu ; il y avait parmi eux des tanneurs, des tapissiers, des teinturiers, qui trouvèrent une telle position favorable à l'exercice des arts dans lesquels ils avaient été élevés. Les eaux leur parurent surtout excellentes pour la teinture des laines, ainsi que pour la préparation des cuirs. Ils se fixèrent auprès de ce château avec l'agrément du seigneur, qui crut devoir protéger cette industrie naissante, à laquelle la ville d'Aubusson dut son origine et sa prospérité. Les seigneurs d'Aubusson étaient, dès ce temps-là, puissants dans l'Aquitaine. Celui qui permit aux Sarrasins de s'établir auprès de son château, fut le père d'Ebon, qui, environ vingt ans après, figure comme prince d'Aubusson, dans l'acte de fondation du monastère de Moutier-Roseille. »
On s'explique difficilement la magnanimité du seigneur d'Aubusson, accueillant avec autant de bienveillance ces Sarrasins qui, en se retirant, dévastaient tout sur leur passage, et qui devaient probablement faire partie de cette bande, de 20,000 hommes, lesquels, au dire de M. Jouillieton, « s'étaient jetés dans la Marche, après la bataille de Poitiers, et se livrèrent, dans cette province, à tous les excès que peuvent inspirer la brutalité et la fureur, brûlèrent Prœtorium, Chambon et tous les monastères environnants. » En face d'une bande de pillards, il est probable que le prince d'Aubusson aurait trouvé d'autres armes que celles qu'eut à leur opposer saint Pardoux (1), et que les Arabes, séparés du gros de leur troupe, perdus au milieu des montagnes, auraient été infailliblement massacrés par une population à demi barbare, avant d'avoir pu expérimenter les propriétés des eaux de la Creuse, et donner des spécimens de leur habileté comme tanneurs et comme tapissiers.
Celle guerre entre les Francs et les Mahométans fut une lutte sans merci. Charles Martel poursuivit les vaincus jusque dans la Septimanie où ils s'étaient retirés ; il pilla et ravagea cette contrée, et les Sarrasins qui retournèrent dans l'Aquitaine y revinrent comme captifs « accouplés deux à deux comme des chiens » (Chr. de Moissac).
C'est d'après un article de l'Encyclopédie méthodique que M. Joullieton doit avoir bâti et arrangé la légende de l'arrivée des Sarrasins à Aubusson; pourtant son auteur, M. de Châteaufavier, inspecteur des manufactures d'Aubusson et de Felletin, dont nous transcrivons le mémoire, ne parle des Sarrasins, soi-disant fondateurs des manufactures de tapisseries, qu'avec la plus grande réserve :
« L'origine des manufactures d'Aubusson et de Felletin, dit-il, est si reculée qu'elle se perd dans la nuit des temps. Il est vraisemblable que leur ancienneté est à peu près la même; mais on ne peut, à défaut de titres Justificatifs, entrer dans des détails historiques à cet égard. On se permettra pourtant de dire, d'après un ancien mémoire, et suivant l'opinion commune, que ces manufactures doivent leur naissance aux Sarrasins, qui, répandus vers l'an 730 dans la Marche, donnèrent à ses habitants naturels les premiers éléments de l'art de fabriquer les tapisseries, et que, après l'expulsion des Sarrasins des Gaules, un vicomte de la Marche, jaloux sans doute d'illustrer le chef-lieu de sa seigneurie, fit venir à ses frais les meilleurs tapissiers de Flandre, et les établit à Aubusson, pour cultiver et perfectionner la fabrication des tapisseries, qui était, pour lors, à son berceau. Voilà ce qui est écrit et transmis par la tradition sur cet objet. On croit de la prudence de n'en point garantir l'authenticité. »
Nous ne savons à quel ancien mémoire M. de Châteaufavier veut faire allusion, mais, en consultant ceux qui sont déposés aux Archives Nationales, les rapports des intendants de la généralité de Moulins, de 1665 à 1698, concernant les manufactures d'Aubusson et de Felletin, on ne trouve rien de précis sur l'origine de ces établissements, et Jacques Bertrand, délégué en 1664 auprès de Colbert, pour lui rendre compte de l'état de la fabrique d'Aubusson, lui représente que l'établissement en est de temps immémorial sans que l'on en sache la première institution. »
Si, comme nous l'avons vu, le travail sarrasinois diffère complètement de la fabrication des tapis ras, haute ou basse lisse, telle quelle est encore de nos jours, et dont l'establissement est de temps immémorial à Aubusson, il faut nécessairement chercher une autre origine aux manufactures de la Marche.
Reste donc l'hypothèse d'une émigration d'ouvriers Flamands à Aubusson. M. de Châteaufavier en fait mention; M. C. Pérathon, dont l’opinion a pour nous beaucoup d'autorité, paraît l'admettre, et des faits d'une valeur incontestable semblent la confirmer.
Marie d'Avesnes, autrement de Hainaut, fille de Jean d'Avesnes, comte de Hainaut et de Philippe de Luxembourg, sœur du comte Guillaume, fut alliée par mariage à messire Louis de Clermont, fils de Robert, comte de Clermont et de Béatrix, dame et héritière de Bourbon.
Charles le Bel érigea la baronnie de Bourbon en duché, dont fut premier duc Louis, comte de Clermont, et duchesse Marie de Hainaut, sa femme. « Le dit roi mit, de sa propre main, le chapeau ducal en magnifique cérémonie, et fut esmeu à faire cette création de duché pour deux raisons : premièrement, pour les faits héroïques dudit Louis; secondement, pour ce que le dit Louis rendit au roi le comté de Clermont en Beauvaises, que saint Louis avait donné à Robert, son fils, père dudit comte Louis. Car le roi Charles aimait singulièrement Clermont pour y être né. A raison de quoi il lui rendit, en échange, le comté de la Marche, seigneuries d'Issoudun, Saint-Pierre le Moustier, Montferrand, etc., et outre a érigé la baronnie de Bourbon, qui venait audit Louis du côté maternel, en duché. La dite échange faite, ledit Louis et ses enfants prirent le surnom de Bourbon, laissant celui de Clermont, son apanage, parce que le roi avait repris ledit apanage (2). ».
Le nouveau comte de la Marche fut un des principaux seigneurs qui accoururent se ranger sous la bannière de Philippe de Valois, pour défendre le comte Louis de Nevers contre ses sujets révoltés. Louis de Bourbon amena au roi neuf compagnies d'hommes d'armes; il lui sauva la vie auprès de Cassel, et contribua puissamment à la victoire remportée sous les murs de cette ville ; aussi Philippe, reconnaissant, rendit à Louis le comté de Clermont et lui laissa la Marche, qu'il lui avait donnée en échange.
C'est à ce prince qui, d'après ce que racontent les historiens du temps, fut un homme d'une grande valeur, et déploya autant de science militaire dans les commandements qu'il exerça, que d'habileté dans les missions diplomatiques dont il fut chargé, qu'il faut attribuer la fondation de l'industrie Aubussonnaise.
Les liens de parenté qui unissaient la maison de Bourbon aux grandes familles de Flandre, s'étaient encore resserrés par le mariage de Robert VII; comte d'Auvergne et baron de Combraille, veuf en premières noces de Blanche de Bourbon, sœur du duc Louis, avec Marie de Flandre. Le comte de la Marche avait, à différentes reprises, parcouru les riches cités des Pays-Bas, et, soit qu'un esprit supérieur comme le sien eût été frappé des éléments de richesse que pouvait développer une grande industrie, soit qu'il eût voulu seulement revêtir de riches tentures les murs de ses palais de granit, il est probable qu'il fit venir des ouvriers flamands dans la Marche.

Tapis d'Aubusson et Tapisseries d'Aubusson inscrits au Patrimoine de l'Unesco en 2009
Tapisserie d'Aubusson
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(1) Une légende raconte que saint Pardoux (abbé d'un monastère auquel Guéret doit son origine) éloigna par des prières une bande de Sarrasins.

(2) Voy. Vinchant, Annales de la province de Hainaut.

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