Tapisserie-royale

DECORATION TAPISSERIE D’AUBUSSON
VI

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DÉCORATION TAPISSERIE


Les événements qui se passaient en Flandre, a cette époque, devaient favoriser une émigration. Nous avons vu quelle longue crise commerciale y suivit la défense d'exporter les laines anglaises; les métiers cessèrent de battre et un grand nombre d'ouvriers privés de travail durent quitter le pays. La France comptait encore en Flandre, surtout dans la féodalité, un parti puissant; dès 1297, Jean d'Avesnes avait enjoint à ses monnayers de se conformer en tout aux usages de France, pour les monnaies frappées dans ses villes, et il est présumable qu'il ne chercha nullement à entraver le départ pour la France des ouvriers tapissiers d'Ath et de Tournay. Mais on ne peut rien préciser à ce sujet; faute de titres sérieux et authentiques, l'historien est réduit aux conjectures. Un fait qui s'est produit à la même époque, dans des circonstances analogues, semble confirmer l'opinion que nous émettons, d'une émigration d'ouvriers Flamands dans la Marche, au XIVe siècle. D'après un mémoire présenté au Congrès de Cherbourg (1860, tome Ier, p. 680), ce serait sous les auspices d'une princesse de Flandre, épouse d'un comte de Laval, que des ouvriers flamands fondèrent dans le Maine les fabriques de toiles qui constituent la principale industrie de ce pays.
Une preuve certaine que Louis de Bourbon s'intéressait à la prospérité d'Aubusson, c'est qu'en 1331, il confirma les privilèges accordés par Hugues XII de Lusignan en 1262; à tous ceux qui viendraient habiter cette ville.
Les années qui suivirent ouvrirent la période la plus brillante qu'ait traversée la Flandre, en même temps qu'elles furent l'ère la plus désastreuse de la France. Ce n'est pas alors que les artisans de Bruges et d'Arras auraient quitté des villes, où le travail surabondait, pour venir s'établir dans un pays livré à toutes les horreurs de la guerre, et aux fléaux qui en sont la suite. La Marche fut cruellement éprouvée ; la peste noire et la famine moissonnaient ceux que le fer des Anglais avait épargnés, et pendant les années de trêve, des bandes d'aventuriers, anglais, français, bourguignons, gascons, etc., promenaient dans la contrée le meurtre et le pillage.
Les princes de la maison de Bourbon payèrent de leur sang leur dette à la royauté. Pierre Ier et Jacques Ier combattirent jusqu'à la nuit à la funeste bataille de Crécy; Pierre se fit tuer auprès de Jean le Bon, à Maupertuis, et Jacques la fleur des chevaliers, tombé à quelques pas du roi, criblé de blessures, fut emmené captif en Angleterre. Revenu en France après le traité de Brétigny, il se mit à la tête d'un corps de troupes, afin de chasser les grandes compagnies qui désolaient la Marche et les contrées voisines; mais il fut battu à Brignais, et mourut, peu après (1362), à Lyon, des suites de ses blessures; son fils, blessé comme lui, ne lui survécut que quelques jours.
Nous avons vu de quelle manière Louis XI traita Arras, lorsqu'il reprit cette ville, qui avait une première fois chassé sa garnison française. Ses habitants expulsés ne cherchèrent pas un asile en France, mais dans les États de Marie de Bourgogne. Ce serait donc aux premières années du règne de Philippe VI qu'il faudrait, au moins, faire remonter l'établissement de l'industrie des' tapisseries dans la Marche; car des documents sérieux prouvent que, dès la première moitié du XVIe siècle, Aubusson et Felletin avaient une certaine renommée commerciale; voici en quels termes Evrard, auteur présumé d'une histoire de l'antique ville d'Ahun, qui écrivait vers 1560, s'exprime au sujet de ces deux villes:
« Le Busson ou le Bussou, selon le vulgaire de maintenant, est une ville de grand bruit par la fréquentation des marchands de lieu, qui y trafiquent souvent, menant et conduisant marchandises en d'autres et divers lieux et pays, et de ce que les habitants sont adonnés à de grands labeurs. La ville est grandement populeuse selon son circuit, abondant en diversités de marchandises, et il y a des gens opulents et riches, grand nombre d'artisans et négociateurs qui font grand trafic, principalement en l’art lanifique et pilistromate, et dont ils tirent grand profit. Au flanc de laquelle ville coule lentement ledit fleuve de la Grand'Creuse, descendant des montagnes Filitinnées, distantes de deux mille pas, lequel fleuve est bien commode et propre en ladite ville, pour raison des moulins qui sont assis dessus, tant pour l'usage des draps et laines que pour moudre les grains. La situation est entre deux hautes montagnes inaccessibles, pleines de grands rochers desquels descend, par le milieu, un torrent qui aucune fois est si impétueux, qu'il entre dans les maisons et boutiques gâtant et enveloppant plusieurs marchandises, et se vient jetter dans le fleuve de Creuse. La principale marque de ladite ville et le lieu le plus éminent et apparent est le chatel, qui est un édifice ancien, assis du côté du midi sur ladite ville à la sommité d'une montagne servant de défense à celle, lequel a un donjon, grande tour quarrée, et autres logis enclos de murailles et tours-quarrées, La forme de ladite grande tour est de même structure que la tour qui est enclose au pourpris du chatel de notre ville Agedunum (Ahun); et comme aucuns disent, il appert, par les pancartes anciennes qui sont gardées aux archives du chatel d'Aubusson; que ledit César, dictateur Romain, lorsqu'il s'empara des Gaules, les fit toutes deux édifier en son nom. »
Si cette désignation « d'art lanifique et pilistromate, pouvait faire naître un doute dans l'esprit sur le genre de travail des habitants d'Aubusson au XVIe siècle, la manière dont Evrard définit l'industrie de Felletin éluciderait complètement la question.
« La cité de Felletin maintenant est exaltée sur les autres de notre contrée, tant pour l'opulence des richesses qui est enclose dans icelle que pour ses honorables bourgeois, d'une excellente vertu en la vraie religion, et aussi est habitée d'un grand nombre d'artisans de diverses officines, et même en l'art buphique (tanneries) et lanifique et autres ouvrages ingénieux de tapisseries textiles de diverses forfilures et couleurs en haute et basse lisse. » Rien du travail sarrasinois.
La ville de Felletin qui, dès l'origine, faisait partie du pays d'Aubusson, dont elle a suivi la fortune, passa aux comtes de la Marche de la maison de Lusignan, lorsque Renaud d'Aubusson vendit sa vicomté à Hugues XII; elle revint à la maison d'Aubusson, à l'époque où François d'Aubusson seigneurie de Saint-Cyr, contre les anciens domaines de sa famille, la vicomté d'Aubusson, les châtellenies de Felletin, Ahun, Chénerailles, Jarnages, etc.
L'edit de Tonnerre, 20 avril 1542, ne fait aucune mention d'Aubusson, ni de Felletin, mais l'ordonnance publiée par Henri III, à Blois (mai 1581), désigne particulièrement Felletin :
« Tapisserie de Flandres et d'ailleurs, excepté Felletin, au-dessus de cent sols tournois l'aune dudit le Paris prisée et estimée soixante et quinze livres. Tapisserie ou tapis dudit Felletin, d'Auvergne et de Lorraine et autres semblables, cinquante livres. »
Ceci nous prouve que le travail de Felletin était assimilé à celui de Flandre, mais estimé un tiers en moins. Les causes qui plaçaient les produits de la Marche dans un état d'infériorité vis-à-vis des fabriques de Flandre, sont faciles à énumérer : d'abord le manque de teinturiers habiles, l'absence de bons dessinateurs et la différence dans la qualité des matières premières. Tandis que les ouvriers de Bruxelles travaillaient d'après les cartons des plus grands maîtres de l'époque, ceux d'Aubusson et de Felletin n'avaient pour modèles que des grisailles, faites d'après les gravures que les enlumineurs du pays pouvaient se procurer.
On trouve très difficilement des tapisseries de la Marche datant du XVIe siècle. Les plus anciennes que nous ayons vues sont du règne de Henri II ou Charles IX, autant qu'on peut en juger par les costumes et l'architecture des bâtiments. Elles représentent, soit des chasses, soit des sujets bibliques, soit de grands paysages, dans lesquels se promènent des animaux plutôt fantastiques que réels, ou des oiseaux, dont il serait difficile de déterminer l'espèce.
Le tissu est gros, irrégulier, les objets mal formés, la gamme des tons peu variée, et malgré ces imperfections on reconnaît encore, dans ces vieilles tentures, ce sentiment du coloris qui semble inné chez les ouvriers d'Aubusson. Quelques-uns d'entre eux avaient déjà acquis une assez grande habilité de main pour oser aborder un genre de travail très difficile, et qui demande une grande pratique du métier, nous voulons parler de la réparation des tapisseries. En 1583, deux tapissiers d'Aubusson, Pierre Delarbre et Jean Dumont, qui allaient probablement exercer leur industrie de château en château, réparent au château de Pau les tapisseries dites de Charlemagne, pour la somme de 133 écus.
Les guerres de religion arrêtèrent, pour un certain temps, l'essor de la fabrication et du commerce des tapisseries. La majeure partie de la population ne prit qu'une faible part à ces luttes; elles furent soutenues plutôt par les gentilshommes, huguenots ou catholiques, qui, plus tard, prirent parti soit pour Henri IV, soit pour la Ligue, le plus souvent par intérêt personnel. Le pays fut pillé, tantôt par les uns, tantôt par les autres, et souvent par tous les deux à la fois. On ne mentionne aucun combat bien sérieux, mais des surprises de villes et de châteaux, et surtout le pillage des abbayes et des monastères, le tout suivi d'incendies dans lesquels ont disparu des monuments bien regrettables.
C'est à un fait pareil que serait due, suivant M. Félix Lecler, la perte des pancartes anciennes qui, d'après Evrard, étaient gardées aux archives du Chatel d'Aubusson. Vers 1665, un parti de huguenots pénétra de nuit dans la ville, et sous les murs même du château, pilla l'église et incendia les titres et les chartes de la commune. .
Le pays avait soif de tranquillité; aussitôt que la nouvelle de l'assassinat de Henri III fut parvenue dans la Marche, les villes d'Aubusson et de Felletin reconnurent Henri IV pour roi. Guéret, à l'approche du grand Prieur Charles d'Orléans, composa et reçut une garnison royale.
Pendant cette période, qui s'étend de l'avènement de François Ier à la mort de Henri III, l'industrie de la tapisserie dut avoir des années de grande prospérité. Quatre ans après la fondation de la bourse consulaire de Paris, Charles IX, en 1567, en accordait une à la ville de Felletin, et motivait ainsi son édit:
« Attendu que la dicte ville est des plus marchandes de tout nostre dict pays de la Marche, et où s'assemblent plusieurs marchands de tout nostre royaume et autres étrangers, dont le commerce et traffic de marchandises y est gardé autant ou plus grand qu'en plusieurs autres villes auxquelles nous ayons accordé ladicte permission, etc., etc. »
Le juge et les deux consuls, chargés de juger en dernier ressort toutes les affaires commerciales, sauf appel au Parlement, devaient être nommés en l'assemblée de trente des plus notables, marchands, habitants, ou échevins de ville. Nous ne savons pas combien de temps cette bourse a dû fonctionner, mais, dans la suite, il n'en est fait mention nulle part.
Des villes, la fabrication s'était étendue dans les villages et bourgs voisins, d'Aubusson surtout, au Mont, à Moutier-Rozeille, etc., même à Vallières, bourg situé à 15 kilomètres d'Aubusson.
Bellegarde, petite ville située à, 10 kilomètres Est d'Aubusson, capitale du pays appelé le Franc-Alleu, fabriquait des tapisseries, dont la majeure partie était vendue aux marchands d'Aubusson, les habitants n'y payant ni lods; ni rentes; ni cens, pouvaient vivre à bon marché et travailler à prix réduits.
Comme Bellegarde est souvent, désignée, dans les actes notariés, sous la dénomination de Bellegarde en Franc-Alleu, pays d'Auvergne, certains historiens ont pensé que l'édit de Tonnerre, modifié par l’ordonnance de Blois de 1581, en parlant des tapisseries d'Auvergne, visait particulièrement les tapisseries de Bellegarde, dont la valeur est assimilée aux produits de Felletin ; mais il parait bien positif que le mot tapisserie d’Auvergne indique des tapisseries faites en Auvergne. D'après des notes que M. Cyprien Perathon a bien voulu nous communiquer, le centre de cette fabrication était à Ambert ou aux environs de cette ville, qui est proche du département de la Haute-Loire, où la fabrication de la dentelle, comme on le sait, est très répandue. Cette industrie de la tapisserie a dû souffrir beaucoup, lors des guerres de religion, qui furent désastreuses pour cette partie de l'Auvergne ; la plupart des villes et bourgades furent saccagées, soit, par les bandes du capitaine Merle qui commandait un fort parti de huguenots, soit par les troupes catholiques. Aujourd'hui, cette fabrication est complètement perdue en Auvergne.
Sully, préoccupé de réparer les places et de garnir les arsenaux, méprisait tout ce qui pouvait nuire à la profession des armes; en s'occupant de l'agriculture, il ne songeait qu'à la guerre ; il avait jugé que la France était surtout un pays d'agriculture, dont les produits devaient être d'un écoulement toujours certain, mais ce qu'il voulait surtout tirer de la charrue, c'étaient de bons soldats. Il maltraitait les marchands et les artisans, entravant l'industrie par une foule de règlements. Défense d'exporter l'or et l'argent, droits sur la circulation des marchandises, prohibition des vêtements de luxe, entraves à l'établissement en France des fabriques de soie, de glaces, de tapis. « La France n'est pas propre à de telles babioles, disait-il ; cette vie sédentaire, des manufactures ne peut faire de bons soldats. »
Henry IV, qui avait, en matière d'économie politique, des idées beaucoup plus larges que son ministre, s'opposa à ses prohibitions, augmenta les privilèges des métiers, et favorisa la fabrication française, en défendant l'introduction des objets étrangers. C'est à lui que les fabriques de soieries de Lyon et de Tours durent leur prospérité, par les encouragements qu'il donna à l'éducation des vers à soie, et en faisant planter cinquante mille mûriers.
Nous avons vu, en parlant de la fabrique des Gobelins, quelle lutte le roi eut à soutenir contre son ministre, lorsqu'il s'agit de réorganiser cet établissement : « Je ne sais pas, disait Henri IV à Sully, quelle fantaisie vous a prise de vouloir, comme on me l'a dit, vous opposer à ce que je veux établir, pour mon contentement particulier, l'embellissement et enrichissement de mon royaume, et pour oster l'oysiveté de parmy mes peuples . - Si je serais, quant à ce qui regarde votre, très marry de m'y opposer formellement, quelques frais qu'il y fallut faire ... mais de dire qu'en cecy, à vostre plaisir, soit joint la commodité, l'embellissement et enrichissement de votre royaume et de vos peuples, c'est ce que je ne puis comprendre. Que s'il plaisait à votre majesté d'écouter en patience mes raisons, je m'assure, cognoissant, comme je le fais, la vivacité de vostre esprit et la solidité de votre jugement, qu'elle serait de mon opinion. - Oui cela, je le veux bien, reprit le roy, je suis content d'ouyr vos raisons; mais aussi veux-je que vous entendiez après les miennes; car je m'asseure qu’elles vaudront mieux que les votres .... » (Œconomies royales, t. V.)

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