Tapisserie-royale

HISTOIRE DES GOBELINS
VIII

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« L'erreur d'où naissait cette défectuosité subsistera toujours, tant que l'on ne formera pas l'ouvrier à l'application de ces principes qui seuls peuvent produire le vrai beau .... feu M. le duc d’Antin m'ordonna, en 1733, de prendre en ladite manufacture, la conduite des ouvrages qui s'y exécutaient d'après mes tableaux. M. Orry, en 1737, me commanda de continuer ce soin, et peu après, me le fit étendre à la tenture de l'histoire d'Esther, d'après M. de Troy. Vous scavez ces faits, monsieur, vous connaissez cette tenture ; elle forme une preuve frappante de mes succès en cette occasion.
« Ces succès furent dus, particulièrement, à la docilité que je trouvai alors dans les ouvriers, et à la parfaite conciliation avec laquelle leurs chefs voulurent bien s'assujettir à l'application des véritables règles de l'art, et à donner à leurs ouvrages tout l'esprit et toute l'intelligence des tableaux, en quoi seul réside le secret de faire des tapisseries de première beauté. Nulle altercation entre nous pendant ce temps ; ce n'est que depuis peu qu'il paraît être survenu quelque changement dans ces dispositions si convenables ail bien du service. »
De leur côté, les chefs d'atelier répondaient que c'était à l'entrepreneur à conduire ses propres ouvrages, que personne ne pouvait avoir une connaissance plus exacte que lui de ce qui était nécessaire pour les porter à la perfection, et qu'au besoin, il pouvait s'aider des conseils des plus habiles peintres d'histoire.

« Bien peindre et bien faire exécuter des tapisseries sont deux choses absolument différentes, ce ne sont point des termes de peinture dont il faut se servir avec les ouvriers, il faut leur parler également, en termes clairs, sur la tapisserie comme sur les tableaux, et avec connaissance sur ledit métier, et c'est à nous à leur tenir ce langage, en suivant ravis du peintre dont nolis exécutons le tableau …
« Il y a, au garde meuble de la couronne, d'anciennes tentures, exécutées sous la conduite des seuls entrepreneurs qui étaient alors les sieurs Jans, Lefèbre, Leblond père et Lacroix : elles étaient ,pour la couleur, du ton dont les tapisseries doivent être, étant plus colorées que les tableaux. Elles ont résisté à l'air, au temps, et sont encore dignes de l'admiration qu'elles ont excitée, lorsqu'elles ont été faites, nommément celles des Arabesques de Raphaël…
« On a travaillé à Beauvais, depuis, on y a exécuté des tentures, sous la conduite du sieur Oudry : que sont-elles aujourd'hui ? quel air de vieillesse n'ont-elles pas au bout de six ans?
« …On a fait tout récemment, sur une pièce de M. Coypel, le teste d'Armide dans l'atelier du sieur Monmerqué, la seconde a esté conduite sous les yeux du sieur Oudry, et la seconde a esté trouvée mal faite, avec vérité, par M. Coypel même. »
La mésintelligence entré l'inspecteur et les chefs d'atelier ne se termina qu'à la mort d'Oudry, en 1755, qui fut remplacé à Beauvais par le peintre J. Dumons, dont on avait pu apprécier le mérite à la fabrique d'Aubusson.
Boucher fut nommé inspecteur des Gobelins la même année ; les entrepreneurs en témoignèrent leur satisfaction à M. de Marigny, directeur général, et promirent leur concours au nouveau titulaire, le tout pour parvenir ensemble au plus haut degré de perfection où il nous soit possible d'atteindre, écrivaient-ils.
« En donnant cette place à M. Boucher, répondait M. de Marigny, j'ay compté que la mutuelle communication de ses lumières et des vôtres ne manquera pas de porter la tapisserie à ce degré de perfection que nous désirons tous, et j'attends cet effet de notre mutuel concours ..... Je lui ay écrit que je comptais aussi sur ses ouvrages, qu'il les verrait exécuter aux Gobelins avec plus de précision qu'ils ne l'ont été à Beauvais. »
Nous ne savons si les compositions de Boucher ont été exécutées en tapisseries d'après les procédés qu'Oudry préconisait. Il reste beaucoup de ces tentures sorties des ateliers de Beauvais qui ne se distinguent pas moins par la solidité des tons que par la finesse du coloris (pastorales, sujets chinois, etc., etc.).
Boucher a peint pour les Gobelins Neptune et Amymone, Vénus aux Forges de Vulcain, Vertumne et Pomone, l'Aurore et Céphale, Vénus sur les eaux. Ces cinq tableaux étaient de forme ovale et s'ajustaient dans un entourage de fleurs et d'ornements. La Pêche, les Diseurs de bonne aventure , Psyché et Sylvie, les Confidences ; puis des petits tableaux représentant des amours, des jeux d'enfants, les génies des arts, etc.
L'influence décisive sur les travaux d'art appartient en réalité à l’école entière représentée aux Gobelins par Boucher ; par Hallé, son successeur immédiat (1770) par Amédée Vanloo, les deux Lagrenée, Doyen, Brenet, Beaufort, Lépicié , Jollain, J aurat, Jacque, peintre d'ornements et de fleurs, Pierre Renou et Belle.
A. Vanloo fit les modèles de la tenture dite de la Sultane - le Déjeuner de la Sultane ; la Toilette de la Sultane ; le Trauail dans l'intérieur du sérail ; la Danse devant la Sultane, et plusieurs autres pièces détachées ; Jaurat est l'auteur des sept pièces de Daphnis et Chloë et des fêtes de village en quatre pièces,
C'est à dater de l'administration de M. de Marigny que les grands tableaux, d'histoire achetés par le roi aux expositions publiques furent envoyés aux Gobelins pour en composer des modèles de tentures.

Souflot était directeur de la manufacture des Gobelins lorsque Vaucanson, aidé des conseils de l'entrepreneur Neilson, construisit pour le travail de la basse lisse un métier perfectionné, métier mixte qui pouvant prendre à volonté une position verticale ou horizontale plus ou moins inclinée, permet à l'ouvrier d'examiner et de suivre son travail, qu'il fait il l'envers, comme nous l'avons expliqué.
On commençait par y tendre la chaîne et à y tracer le sujet à reproduire, comme sur les métiers à haute lisse. Pour travailler, on faisait basculer le métier dans les montants de manière à lui donner la forme des métiers à basses lisses.
Depuis que la manufacture des Gobelins n'ecécute plus que des travaux en haute lisse, les métiers de Vaucanson ont été transportés à Beauvais.
Neilson releva le travail de la basse lisse qui était en complète décadence, les ouvriers se portant de préférence vers la haute lisse qui se prêtait mieux aux exigences de l'art et dont les prix de façon étaient plus élevés. Il forma une école d'apprentissage composée de douze élèves et se succédant sans interruption les uns aux autres, Chargé de la direction des teintures, il réalisa dans cet art des progrès considérables.
Mais Neilson « qui avait déposé au magasin du Roy les procédés de plus de mille corps de nuances, chaque corps composé de douze couleurs ce dégradées du clair au brun dans l'ordre le plus méthodique possible avec le manuel de manipulation, de 1773 à 1784, avait fait toutes les avances sans recevoir ni appointements n'y honoraires, « ny même d'encouraqement d'aucune espèce, demandait le 3 juin 1783 à être déchargé soit du service des teintures, soit de celui de la manufacture. Il était vieux, ajoutait-il, et sa fortune était fondue dans les avances excessives des sommes qui lui étaient dues par le Roy, »
On ne s'enrichit pas toujours à faire de l'art. Audran et Cozette, les deux autres entrepreneurs, demandaient en 1776 à changer leur position contre celle du chef d'atelier avec de simples honoraires. Le mémoire qu'ils présentaient à cet effet à M. D'Angivilier est navrant. Nous en donnons quelques extraits :
« Le sieur de La Tour, entrepreneur (1703-1734), a laissé deux fils réduits à être simples ouvriers. Le sieur Delafraye, entrepreneur (1696-1729), a laissé deux filles à la mercy des premiers besoins .
« L'existence de la veuve Montmorqué, entrepreneur (1730- 1749), et de ses deux filles, tient uniquement à la faible pension de 600 francs que leur fait Sa Majesté.
« L'exemple le plus frappant est celui du sieur Audran, l'entrepreneur (1733-1772), fils du gra veur J. Audran, né avec une fortune honnête, d'une conduite irréprochable et dont la veuve se trouve aujourd'hui réduite à une pension de 600 francs.
« Le sieur Audran père a réuni plusieurs successions considérables : il a eu de sa femme près de 80,000 francs de bien .... La seule dot de son fils a été l'association aux ouvrages de son père et à son fonds. Audran père a fait des pertes cumulées et considérables, tant de l'intérêt annuel d'un gros fond de soyes et de laines, que sur les ouvriers, soit par mort, soit par désertion.
« Et le sieur de Cozette, loin de pouvoir établir ses enfants, les laisserait dans la plus grande détresse s'il leur était enlevé aujourd'hui.
« Le bénéfice des entrepreneurs consiste dans 60 livres par aune quarrée. Leur travail, quelque forcé qu'il puisse être par le nombre des ouvriers, monte rarement à cent aunes quarrées qui font au plus 6,000 livres par année.
« Ils sont obligés d'avoir un fonds considérable de laine et de soyes, qui ne rapporte aucun intérêt, et de faire à leurs ouvriers, qui sans cela mourraient de misère, une somme d'avances qu'on peut évaluer à 1500 livres, année commune.
« Si Sa Majesté ne jugeait pas convenable de leur accorder les appointements qu'ils demandent (au lieu de 60 livres par aune carrée), au moins voudrait-elle ou augmenter leurs honoraires, ou leur donner des pensions qui leur assurent une honnête aisance et les facilite à élever et à établir leur famille.
« On ne peut se dissimuler que le prix de la tapisserie n'est déjà que trop forcé : le moindre surcroît pourrait éloigner encore leur débit et le projet des appointements est peut-être le seul qui le puisse être adopté. »
De leur côté les ouvriers se plaignaient de ce que les entrepreneurs abusaient des avances qu'ils leur avaient faites pour les réduire aux plus dures conditions.
Pierre, premier peintre du Roi, qui succéda à Souflot, en janvier 1782, après avoir entendu les récriminations des entrepreneurs et des ouvriers, résumait ainsi le débat :
« J'ai cherché les causes de la ruine de cette maison, et j'ai Vu que les malheurs provenaient des haines et des jalousies. De là mon projet de le réunir les intérêts.
« Tout le monde a eu tort, mais les torts vont cesser.
« Fait très certain : ..... Tous les bons ouvriers sont en général doux, rangés, même vertueux.
« Les mauvais ouvriers sont mauvais en tout.
« L'esprit de vengeance qui les anime contre ceux qu'ils appellent leurs tyrans les porte à mourir de faim plutôt que de procurer le moindre profit à ces mêmes tyrans. »
Le tort des entrepreneurs était de n'avoir pas réglé avec leurs ouvriers aussitôt qu'une pièce était terminée, et d'avoir laissé accumuler leurs dettes.
On établit un règlement (1783-1788) pour remédier à tous les abus qu'on signalait, et Pierre, vu la difficulté de faire prix avec les ouvriers pour les nouveaux dessins qu'on leur soumettait, songea à un nouveau système.
Finalement M. Guillaumot, qui avait succédé à Pierre dont il partageait les idées ; proposa de supprimer le travail à la tâche, et de le remplacer par un nouveau mode de paiement qui fut adopté le 28 décembre 1790 par le directeur général. « Ce régime produit moins d'ouvrage, dit M. Guillaumot ; mais le travail est plus parfait, puisque aucun motif d'intérêt ne porte le fabricant à mal faire pour produire davantage. » On partagea en quatre classes les cent seize ouvrières et les dix-huit apprentis existant alors aux Gobelins ; ceux des classes inférieures ayant l'expectative de montrer aux classes supérieures étaient sans cesse encouragés à se perfectionner.
De 1781 à 1791 on reproduisit encore aux Gobelins, la Tenture des Indes, celles de Jason, l'Enlèvement d'Europe par Jupiter et Mercure et Aglaure, d'après Pierre ; Proserpine ornant de fleurs la statue, de Cérès, est aperçue par Pluton, et un tableau d'enfant, par Vien. Sully aux pieds de Henri IV ; Henri IV prenant congé de Gabrielle d'Estrées ; Evanouissement de Gabrielle ; Henri IV soupant chez le Meunier ; Henri IV faisant entrer des vivres dans Paris ; en tout cinq pièces, d'après Vincent. Le siége de Calais, d'après Barthélemy ; la Reprise de Paris par le connétable de Richemond ; d'après le même ; ainsi que Maillard abattant d'un coup de hache Etienne Marcel, qui était près de livrer les clefs de Paris au roi de Navarre, Charles le Mauvais ; la Mort de l'amiral de Coligny, d'après Suvée ; honneurs rendus par les ennemis à Duquesclin, après sa mort, d'après Brenet ; la Continence de Bayard, d'après Rameau ; la mort de Léonard de Vinci, d'après Ménageot.
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