Tapisserie-royale

REPRODUIRE UNE TAPISSERIE D'AUBUSSON
V



Les Tapisseries des Rois de France et des Princes de la maison de Valois. - Manufactures de Fontainebleau et de la Trinité. - Dubourg et Henri Lerambert. - La Flandre sous Philippe II.

« Si quelqu'un des prédécesseurs de François Ier établit des manufactures à Paris ou aux environs, je n'en trouve rien nulle part, dit SauvaI. En effet, si nous jetons un coup d'œil sur les anciens inventaires, nous voyons que presque toutes les tentures qui décoraient les châteaux royaux et les habitations princières étaient, comme nous l'avons déjà fait observer, d'origine flamande et que la plupart représentaient les mêmes sujets que celles qui faisaient partie du mobilier de la maison de Bourgogne.
Nous pouvons citer :
Dans l'inventaire de Charles V : « un drap de l'œuvre d'Arras, hystorié de faicts et batailles de Judas Maochabeus et d'Antoqus ; »
Dans celui de Charles VI : « une chambre de tapisserie d'Arras, sur champ vermeil, de l'ystoire de, Plaisance, appelée la chambre d'honneur, dont les ciel, dossier et couverture sont d'or et de soye, à plusieurs petits personnages, à pié et à cheval, et six tapis de fil de laine, d'or et de soye, prisé c'est à savoir, la dite chambre, neuf cent vingt huit livres parisis, et les dits six tapis de laine, cinq cent quatre livres parisis : pour tout mil quatre cent trente-deux livres parisis »
En 1391 Louis d'Orléans achète à Bataille Collin « l’histoire de Theseus et de l'Aigle d'or. »
Le 24 novembre 1395, « à Dourdin Jacquet, marchant et bourgeois de Paris, trois tapis de haute lisse en fil fin d'Arras, ouvré à or de Chypre, contenant le Credo, les douze Prophètes, les douze Apôtres et le couronnement de Notre-Dame. En 1398, à Nicolas Bataille, plusieurs chambres et un tapis de chapelle de l'Arbre de la Vie et des douze Prophètes. »
Au nombre des tapisseries qui appartenaient à ce prince, nous remarquons celles de Penthésilée, des enfants de Renaud de Montauban, de Dieu, de saint Louis, de Charlemagne.
Le chevalier de Saint-Lenoir, dans un volume avec figures coloriées, nous donne la description d'une tapisserie faite à Bruges et représentant, sous des formes allégoriques, le mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne.
Cette princesse possédait un nombre considérable de tapisseries, dont la majeure partie devait provenir du riche mobilier des princes d'Orléans.
Les titres de tous ces inventaires, tirés d'un manuscrit de la Bibliothèque nationale, ont été donnés par M. Leroux de Lincy dans l'histoire de la vie privée d'Anne de Bretagne.
Les châteaux royaux, à cette époque, regorgeaient de tentures. En 1494, lorsque le duc et la duchesse de Bourbon vinrent à Amboise faire une visite au roi et à la reine, il ne fallut pas moins de 4,000 crochets pour tendre les deux cours de tapisseries représentant la Cité des Dames, l'histoire des Ages, l'histoire d'Alexandre le Grand, l'histoire du roi Assuer et de la roynz Ester, l'histoire de David, d'Hercule, de Jonathas, de Nabuchodonosor, de la papesse Jeanne, des neuf Preux, de llenaud de Montauban, du Roman de la Rose, de la bataille de Formigny, etc.
Une tapisserie, représentant l'histoire du roi Assuer et de la royne Ester se trouvait, trente ans auparavant, à la cour de Bourgogne ; elle avait été achetée à Pasquier Grenier, marchand tapissier, demeurant à Tournai. Marguerite d'Autriche posséda aussi une tenture de la Cité des Dames, qui provenait aussi de Tournai.
Dans l'histoire du château de Blois, par M. de la Saussaye, on lit que, lorsque l'archiduc Philippe le Beau et son épouse, Jeanne de Castille, se rendant en Espagne, séjournèrent au château de Blois en 1501, on étala les tapisseries du garde meuble. « Ces tapisseries estoient aussi fraîches que neuves, celles qu'estoient tendues, tant aux logements du roy et de la royne que desdits archiduc et archiduchesse, estoient toutes pleines d'or ; et celles de draps d'or et de draps de soye en avoient d'autres dessous à personnages et histoires presque aussi riches que celles qui estaient dessus ; il n'y avoit chambre ni garderobe qui' n'en fût pleine. »
Anne de Bretagne mourut dans ce château, et son corps fut transporté dans la salle d'honneur ornée d'une tapisserie « ouvrée de soye et fil d'or et hystoriée de la vengeance de Notre-Seigneur, que fit Titus Vespasianus. »
Nous trouvons dans les archives de la ville de Pau plusieurs inventaires des tapisseries ayant appartenu aux rois de Navarre, au sujet desquelles M. Charles Bahlenbeck a publié une brochure à Gand.
L'inventaire d'Anne d'Armagnac, dame d'Albret, dressé le mardi 27 décembre 1472, mentionne douze tapisseries, parmi lesquelle s:
Des tentures aux armes des maisons d'Armagnac el d'Albret.
Un grand pane (pour panneau) de tapisserie surnommé l'Amoureux de Plaisance, à personnages d'or et de soie, et d'autres tapisseries à personnages et feuillages.
Ces tentures provenaient du château de Nérac.
Le petit fils d'Anne d'Armagnac, Alain d'Albret, possédant du chef de sa femme les pairies d'Avesnes et de Landrecies, avait pu faire un choix des plus : belles pièces rehaussées d'or et d'argent, au nombre desquelles on admirait :
L'Annonciation, le Couronnement et le Trépassement de Notre-Dame, les sept Péchés mortels, Guyon de Tournay, les douze Pairs, le roi Arthus, l'hystoire du Loup, tirée probablement du roinan du Renard, qui raconte les aventures du Renard et du Loup Ysengrin, « ces deux barons, qui, comme le dit l'auteur, Pierre Saint-Cloud, ne s'aimèrent jamais. »
L'histoire d'un homme sauvage qui dit à la Licorne « Je n'y boirai » l'histoire de l'Ancien Testament, des bergeries, des voleries et enfin, la fameuse chambre des Petits Enfants.
Henri II, roi de Navarre, hérita des tapisseries que, César Borgia avait laissées à sa veuve, Charlotte d'Albret, entr’autres :
L'histoire de Babylone, l'histoire de la Façon de la vigne, trouvée par Noé, les faits et gestes d'Alexandre le Grand, l'histoire du grand Moïse, une autre pièce où l'on voyait paraître Mané, Thécel, Phales (le festin de Balthazar).
En parcourant ces documents, il serait facile de se faire illusion et de croire qu'on a sous les yeux l'énumération des richesses de Charles le Téméraire.
A la célèbre entrevue du camp du Drap d'Or, où Henri VIII et François 1er rivalisèrent de magnificence ; le roi de France, d'après Martin du Bellay, étala « quatre pièces de tapisseries principales, qui sont les victoires de Bcipion l'Africain, faites en haute lisse, tout de fil d'or et de soye. Ces personnages, les mieux faits et au naturel qu'on pourrait faire, et n'est possible à peintredu monde de faire, mieux sur tableaux, de bois, et dit que l'aulne en cousta cinquante escus. »
Brantôme parle aussi des tapisseries de Scipion, et en fait le plus grand éloge ; elles avaient coûté, dit-il, 22,000 écus et en valaient plus de 50,000. « C'était, ajoute-t-il un chef-d'œuvre des Flandres présenté au roy plustot par le maistre qu'à l'empereur, ayant ouy parler de la libéralité; curiosité et magnificence de ce grand roy, et qu'il en tirerait bien davantage de lui que de l'empereur son souverain. » Les cartons de ces tapisseries de Scipion étaient de Jules Romain. Henri II compléta la collection en commandant aux ouvriers de Flandre le Triomphe de Scipion. Félihien prétend même que Henri II y était représenté sous les traits de Scipion.
Nous lisons, dans Paul Jove, que François Ier donna au pape Clément VII une large tapisserie de Flandre, rehaussée d'or et de soie, sur laquelle on voyait représentée « la dernière cène de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec ses disciples, » en échange d'une corne de Licorne, de deux coudées de long, enclose et enchâssée dans une base d'or « pour déchasser le poison des viandes. » C'est à cette propriété de déchasser le poison des viandes, qu'on attribuait à la corne de la Licorne, que fait allusion la devise « Je n'y boirai » écrite dans la tapisserie d'Alain d'Albret.
En 1538, la cour de France fit acheter à Melchior Baillif, marchand de Bruxelles, cinq pièces de tapisserie à or et soie (les cinq Ages du monde), que le roi acquit lui-même pour la somme de 1775 livres. Elles mesuraient 88 aunes 3/4.
Ce fut très probablement pour affranchir la France du tribut qu'elle payait à l'étranger, que François Ier fonda la première manufacture royale de tapisseries. L'édit de Tonnerre, publié en 1542 « concernant les droits, l'imposition foraine, etc., touchant les marchandises et appréciation d'icelles, pour sçavoir ce que l'on doit payer pour raison d'icelle, » mentionne les tapisseries fines de Marche (en basse lisse) et celle de haute lisse, sans or, et nous dit que concernant la tapisserie de Marche, « en haute lisse estoffée d'or et de soye, elle ne sera cy ni estimée ni prisé, pour-ceque c'est ouvrage de prince et t'en tire peu ou point hors du royaume. »
Le roi réunit à Fontainebleau quelques ouvriers tapissiers venus de Flandre, et les plaça, par lettres patentes du 22 janvier 1535, sous la direction de Philibert Babou, auquel fut plus tard adjoint Nicolas de Neufville, sieur de Velleroi, et, en 1541, Sébastien Sorlio, son peintre et architecteur ordinaire.
 

TAPISSERIE JACQUARD


Leroi fournissait aux ouvriers tapissiers les dessins, matières premières, laine, soie, fils d'or et
d'argent, et leur donnait un traitement qui variait de dix à quinze livres par mois, suivant leurs aptitudes. Deux maîtres tapissiers, Salomon et Pierre de Herbaine, frères, chargés de l'inspection quotidienne des travaux recevaient 240 livres par année ; Jean le Tries, haut lissier : 12 livres dix sous par mois ; Jean le Gouyn, ouvrier de haute lisse, qui réparait les tapisseries de l'histoire du Purgatoire d'amours, du roman de la Rose, de Jules César, de Gédéon et d'Alexandre : 10 livres : par mois.
Claude Baudouyn, le peintre, touchait 20 livres par mois, pour « vaquer à faire des patrons sur grand papier, suivant certains tableaux, estans en la grande gallerie dudit lieu, pour servir de patrons à ladite tapisserie. »
Félibien nous donne le nom d'autres peintres qui avaient vaqué tant aux patrons de la tapisserie qu'à d'autres ouvrages de peinture. C'étaient Lucas Romain, Charles Cannoy, Francisque Cachenmis et J-B. Baignequeval.
De grands artistes italiens, comme le Rosso et le Primatice, apportèrent un précieux concours à la manufacture naissante, et beaucoup de patrons de tapisseries n'étaient que la mise en grand de leurs esquisses : « Comme le Primatice était fort habile à dessiner, dit Félibien, il fit un si grand nombre de dessins, et avait sous lui tant d'habiles hommes que, tout d'un coup, il parut en France une infinité d'ouvrages d'un meilleur goût que ceux qu'on avait vus auparavant … Il se trouva même des tapisseries du dessin de Primatice. »
Non seulement Henry II conserva l'établissement fondé à Fontainebleau, dont il confia la direction à Philibert de l'Orme, mais il fonda aussi une nouvelle fabrique de tapisseries à l'hôpital de la Trinité, situé alors près de la rue Saint-Denis. On y entretenait cent trente-six orphelins dits Enfants bleus, à cause de la couleur de leurs vêtements ; ils apprenaient à lire, à écrire, puis un métier. Les artisans du dehors, qui venaient s'y établir, gagnaient la maîtrise, à la seule condition de montrer leur état aux enfants orphelins, qui devenaient alors fils de maîtres.
En 1594, un Parisien, nommé Dubourg, enfant de la Trinité, y exécuta les célèbres tapisseries de Saint-Merry. Elles étaient au nombre de douze, ayant chacune 13 pieds de hauteur sur 20 de largeur.
La dernière existait encore en 1652, mais on juge dans quel état, car on s'en servait pour boucher les trous faits aux fenêtres par la grêle ou le vent. Les onze autres étaient en loques ; c'est à peine si on a pu sauver quelques-uns de ces précieux débris : une tête de saint Pierre, recueillie par M. Juhinal, qui en a fait don au musée de Cluny, est de ce nombre.
Les dessins de ces tapisseries, qui sont de Henry Leramhert, sont conservés à la Bibliothèque nationale, ainsi que ceux de l'histoire de Mausole et d'Artémise, au nombre de 39, qui ont fourni une des plus importantes séries de compositions qui aient été faites pour la tapisserie.
Catherine de Médicis ordonna la reproduction immédiate de quelques-unes de ces charmantes compositions, allégorie transparente qui représentait son histoire sous les traits d'Artémise.
Chaque dessin, du reste, est orné du chiffre de la reine, de son cartel aux armes de France et de Médicis, et de sa devise.
De 1570 à 1660, les ateliers royaux fabriquèrent dix tentures d'Artémise, quelques-unes de 10 et 15 pièces, en tout, une superficie de 1711 mètres carrés. Sous les règnes de Charles IX, Henry III et Henry IV, on exécuta plusieurs fois, à Paris et à Tours, une autre composition du même peintre : les tentures de Coriolan ; l'une d'elles, fabriquée à Paris, était composée de 17 pièces, mesurant en tout 66 aunes de long sur 3 aunes 7/8 de haut.
Henry III fit fabriquer, sur les dessins de Guyot, une tenture de laine et soie, représentant quelques actes mémorables des rois de France et formant 9 pièces de 32 aunes de cours, sur 3 aunes 1/4 de haut, La devise du roi était dans la bordure du bas.
En 1544, Catherine de Médicis avait publié un édit établissant à Moulins, en Bourbonnais, une fabrique de tapisseries ; mais il en fut de ce projet comme de la manufacture de Fontainebleau ; qui fut abandonnée pendant les troubles qui signalèrent les règnes des trois derniers princes de la maison de Valois.
Ce n'est pas ici le lieu de raconter les luttes que soutinrent de leur côté les gueux des Pays-Bas pour défendre contre le roi d'Espagne leurs libertés religieuses et politiques. La correspondance de Philippe II témoigne assez qu'il n'hésita jamais à recourir aux mesures les plus rigoureuses,
« dussent-elles entraîner la totale destruction du pays, » pour faire triompher son implacable volonté.
Le duc d'Albe, le sinistre exécuteur de l'Inquisition d'Espagne, qui, le 15 février 1568, condamna en masse, sauf exceptions nominales, tous les peuples, ordres et états des Pays-Bas, les déclarant hérétiques, apostats et criminels de lèse-majesté, les uns pour s'être ouvertement déclarés contre Dieu et le roi, les autres pour n'avoir pas réprimé les rebelles.
Le cœur saigne en parcourant le livre des sentences et les, listes de proscriptions dressées' par le Conseil des troubles, le tribunal de sang, « el tribunal de la sangre, » comme l'appelaient eux-mêmes les Espagnols. Les lettres, les sciences et les arts y sont largement représentés.
Non content d'avoir répandu des torrents de sang, le lieutenant de Philippe II résolut d'introduire dans les Pays-Bas le système d'impôts qui était le fléau de l'industrie en Espagne : li arracha, par la terreur, aux États génèraux un impôt extraordinaire de la valeur du centième de tous les biens-fonds ; puis il établit un droit permanent du vingtième sur le prix de vente des immeubles, et frappa d'un dixième tous les objets mobiliers vendus à l'intérieur ou exportés.
Cette mesure, qui arrêtait toutes les transactions commerciales, était surtout destinée à entraver l'émigration, qui ; malgré cela, prit des proportions immenses. Les ouvriers, les fabricants flamands, portèrent en Angleterre l'industrie des tissus, qui avait pendant si longtemps fait la richesse de leur pays, et repeuplèrent d'anciennes villes ruinées, telles que Worwick, Colchester, Southampton, etc.
M. Rahlembeck Cite l'exemple suivant de l'émigration des artistes et des artisans belges au XVIe siècle : lorsque Marie de Luxembourg, veuve, de Jacques de Romont, épousa François de Bourbon, duc de Vendôme, et apporta la ville d'Enghien aux rois de Navarre, Pierre Huart, Vincent Van Geldre, peintres, Jean Larchier, Adrien de Plukère et Nicolas Provinus, hauts lissiers, quittèrent la ville en 1567, et, dès l'année suivante, ils en furent bannis à perpétuité.
Ce que la domination espagnole a détruit ou fait disparaître d'objets d'art aux Pays-Bas, est incalculable. De leur côté, les protestants se vengèrent de leur longue oppression sur les monuments et les emblèmes du culte catholique ; la cathédrale d'Anvers et une foule d'autres églises furent cruellement dévastées.
Au nombre des mesures financières que prit la commune de Bruxelles pendant le soulèvement des Pays-Bas, il y en eut une d'un caractère franchement révolutionnaire : ce fut la vente du mobilier et des objets précieux des églises et des couvents de la ville (1580-1581).
Tout ce qui avait pu échapper à la soldatesque fut vendu par ordre dès magistrats, soit publiquement, soit de la main à la main. Non seulement on vendit les biens mobiliers des églises et des couvents, mais aussi ceux de la cour, tout ce que Charles-Quint avait laissé1.
La vente des tapisseries, mentionnée sans autre détail, se fit à l'encan, vers la fin du mois d'août 1581 ; elle produisit 2,774 florins du Rhin, comptés à 20 sous, monnaie de Brabant Parmi ces tapisseries se trouvaient probablement celles de la Toison d'or, représentant l'histoire de Gédon, et qui décorait la grande salle du palais, lors de l'abdication de Charles-Quint.
C'était, dit un écrit du temps, « la plus riche et eiquise tapisserie qu'on ne sauroit avoir veue, »
La Tapisserie du Conseil des troubles, formant neuf pièces, fut vendue 129 florins en tout. Les Tapisseries de Notre-Dame des Sablons : 80 florins.
Au tombeau d'Adolphe de Clèves, aux Dominicains, il y avait 7 pièces de tapisseries aux armes de Ravenstein, mesurant chacune 28 aunes ; elles furent vendues à 7 sous 1/2 l'aune (l'aune de Bruxelles avait 70 cent)2.
A la mort de Philippe II, sous l'administration des archiducs Albert et Isabelle, la Belgique sembla respirer ; mais beaucoup d'artistes et d'ouvriers avaient suivi en exil les défenseurs de leurs libertés ; l'industrie avait été frappée au cœur ; le commerce extérieur était paralysé par la double guerre que l' Espagne, maîtresse des provinces belges, soutenait contre la France et contre les Provinces Unies, dont les flottes tenaient la mer. Par le traité de Munster, les Provinces-Unies exigèrent la fermeture de l'Escaut, du canal du Sas de Gand, du Swyri, et, en interdisant l'admission des trafiquants des Pays-Bas espagnols dans les colonies espagnoles ; ils achevèrent la ruine commerciale de la Belgique.
Henri IV ayant vu les belles tapisseries de Saint-Merri, et désirant « ostel l'oysiveté de parmi ses peuples, pour embellir et enrichir son royaume » continua l'œuvre de François Ier et organisa pour la première fois d’une façon durable, la manufacture royale de tapisseries. Il fit venir d'Italie

1. Voy. Henne et Wauthers, Histoire de Bruxelle.
2. Voy. Gachard, Bulletins de la Commission royale d'histoire. Bruxelles, 1872, 3e série.

d'hahiles ouvriers en or et en soie, et les installa, avec des tapissiers, dans l'ancienne maison
professe des Jésuites, située au faubourg Saint-Antoine.
Laurent, excellent tapissier, directeur de la manufacture, recevait « un écu par jour et cent livres de gages, et comme il avait quatre apprentis, leur pension fut fixée à dix sous tous les jours pour chacun. Quant aux compagnons qui travaillaient sous lui, les uns gagnaient 25 sous, les autres 30, les autres 40. Avec le temps, Dubourg (le maître qui avait fait les tapisseries de Saint-Merri) fut associé, et là, demeurèrent ensemble jusqu'au rappel des Jésuites, et pour lors ils furent transférés dans les galeries (du Louvre). Après la mort du roi, ils n'eurent plus que 40 sous par jour, et 25 écus de pension pour les apprentis, mais toujours on continuait à leur fournir les étoffes et ils travaillaient encore il la journée .... Quelque part qu'ils aient été, ils ont joui de tous les privilèges de la Trinité1). »
Dubreuil, peintre fameux, dit Sauval, fut aussi logé dans la maison professe des Jésuites, et ce fut lui qui, probablement, exécuta les cartons de la tenture dite de Diane, en huit pièces.
Outre la manufacture de la maison des Jésuites, le roi organisa une nouvelle fabrique de tapisseries, façon de Flandres, dont le personnel, recruté parmi les meilleurs ouvriers de ce pays, fut placé sous la direction de deux fabricants renommés : Marc de Coomans, et François de la Planche ; il les ennoblit et, par lettres patentes de janvier 1606, leur conféra privilége, non seulement pour Paris, mais pour toutes les villes du royaume où il leur plairait de s'établir. Il est dit, dans ces lettres patentes, que, « pendant vingt-cinq ans, nul ne pourra imiter leurs manufactures ; que le Roy leur donnera, à ses dépens, des lieux pour les loger, eux et leurs ouvriers, ces derniers déclarés regnicoles et naturels, sur leur certification et sans lettres patentes, exemptés de tailles et de toutes autres charges pendant les dites vingt-cinq années ; que les maîtres, après trois ans, les apprentis après six ans, pourront avoir boutique sans faire chef d' œuvre, et ce, durant les vingt-cinq années ; que le Roy leur donnera, la première année, vingt-cinq enfants, la seconde vingt, et autant la troisième, tous françois, dont il payera la pension, et les parents l'entretien, pour apprendre le mestier ; que les entrepreneurs tiendront 80 mestiers au moins, dont 60 à Paris ; qu'ils auront chascun 1500 livres de pension et 100,000 livres pour commencer le travail ; que toutes les estoffes employées par eux, sauf l'or et la soye, seront exemptes d'impositions ; qu'ils pourront partout tenir brasseries et vendre bière ; que l'entrée des tapisseries estrangères est défendue, et, qu'en vendant les leurs, ce sera au prix que les autres se vendent aux Pays-Bas ; que tous leurs procès seront jugés, en première instance, par devant les juges du lieu, et par appel, au parlement de Paris, en quelque lieu qu'ils soient. »
Henri IV, en 1604, avait ordonné la création d'un atelier de tapis, façon de Perse et du Levant, qui fut l'origine du célèbre établissement de la Savonnerie ; il suivit, avec un intérêt particulier, les progrès de ses fabriques de tapisseries, et il dut, plus d'une fois, intervenir personnellement, et même user d'autorité pour forcer Sully à remplir les engagements contractés avec le entrepreneurs.
La colonie flamande avait été primitivement installée dans les bâtiments qui restaient encore de l'ancien palais des Tournelles ; déplacée ensuite plusieurs fois, elle fut définitivement fixée dans la maison des Gobelins en 1630. Cette propriété tirait son nom d'une famille de teinturiers, qui vint s'établir dans le faubourg Saint-Marcel, sur les bords de la Bièvre, vers le quinzième siècle.
Pendant longtemps l'Italie, et on particulier Venise ; possédèrent presque exclusivement l'art des teintures, qui ne s'introduisit en France que peu à poli. Lorsque Gilles Gobelin fonda son établissement, on regarda cette entreprise comme si téméraire qu'on donna à l'usine le nom de Folie Gohelin, et plus tard, quand le maître teinturier réalisa de gros bénéfices, on dit qu'il avait fait un pacte avec le diable.
La découverte de la teinture en écarlate peut être regardée comme j'époque la plus importante de l'art de la teinture, non seulement à cause de l'éclat de celle teinte, mais parce qu'on sut, par le même procédé, augmenter l'éclat de plusieurs autres couleurs.
Les anciens avaient donné le nom d'écarlate à la couleur qu'ils tiraient du kermès et lui était loin d'avoir la vivacité de celle que nous désignons ainsi.
A la mort de Remi Lerambert, la place du peintre des manufactures royales fut mise au concours par Henri IV. Le sujet à traiter était emprunté à des scènes du « Pasteur fidèle » ; Dumay et Guyot l'emparlèrent sur leurs concurrents. Il faut croire que les aventures de Myrtil , d'Amarillis et des autres héros de la pastorale de Guarini, inspirèrent heureusement les deux peintres, car la
1. Sauvai, Antiquités de Paris.
tenture du Pasteur fidèle fut portée par eux à 26 pièces, n'ayant pas moins de 528 aunes carrées.
Il y avait aussi, d'après Guyot:
Une tenture représentant le vol du héron, autrement les chasses de François Ier, avec les armes de, France et de Navarre : 8 pièces ; les Nopccs de Gomhault et Macé : 7 pièces. '
Parmi les tentures exécutées pendant la première moitié du dix-septième siècle, nous pouvons citer :
L’histoire d'Artémise ou l'éducation d'un jeune roi sous les yeux de la reine sa mère, exécutée au Louvre par ordre de Marie de Médicis sur les dessins d'Antoine Caron ;
Des paysages et verdures à bestions d'après les dessins de Fouquières ;
6 pièces représentant des Jeux d'enfants ; d'après le père de Michel Corneille ;
7 pièces des amours de Renaud et d'Armide, d'après Simon Vouet, qui faisait alors, en France, ce que les Ganache avaient fait en Italie : une rénovation artistique ;
Les sacrements, en 10 pièces de 35 aunes et demie de cours, sur 3 aunes 3/4 de haut.
Les cartons de cette tapisserie étaient du prince des artistes français, de Nicolas Poussin , celui qu'on a appelé le peintre des gens d'esprit1.
La lettre suivante, adressée par Poussin à M, de Chantelou, nous atteste que ce grand peintre exécuta des travaux pour la fabrique de tapisseries :
« Je ne saurais bien entendre ce que Monsegnieur désire de moi sans grande confusion, d'autant qu'il m'est impossible de travailler en même temps à des frontispices de livres, à une vierge, au tableau de la congrégation de Saint-Louis, à tous les dessins de la galerie, enfin, à des tableaux pour les tapisseries royales ; je n'ai qu'une main et, une débile tête, et je ne peux être aidé ni soulagé par personne. »


1. Voy. L. Viardot, Les Merveilles de la peinture.
Tapisserie tissée main à Aubusson Patrimoine de l'Unesco en 2009
Les Tapisseries d'hier et d'aujourd'hui
Tapisserie d'Aubusson
Tapis d'Aubusson
Tapisserie à réaliser soi-même
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