Tapisserie-royale

TAPISSERIE D'AUBUSSON ŒUVRE ORIGINALE
IX





Les tapisseries d'Aubusson depuis le règne de Louis XV jusqu'à nos jours. - Décadence des fabriques de Flandre.
« Les habitants d'Aubusson, écrivait en 1698 M. Le Vayer, intendant de la Généralité de Moulins, ont l'esprit subtil, inquiet… ; ils sont querelieurs, ennemis implacables… »
Ces haines implacables auxquelles M. l'intendant fait allusion avaient été provoquées par les discordes religieuses ; quant à l'épithète de querelleurs, elle était peut-être justifiée à ses yeux par les procès que les fabricants de tapisseries d'Aubusson étaient obligés de soutenir depuis 1624 contre les marchands tapissiers de Paris.
Nous avons eu la bonne fortune de retrouver le Mémoire que les fabricants de la Marche présentèrent à l'appui de leurs droits, et c'est encore dans ce curieux document que nous rencontrons les indications les plus précises relativement au commerce et à l'industrie des tapisseries en France.
Le commencement des hostilités entre Paris et Aubusson remontait à 1624, époque à laquelle les tapissiers de Paris manifestèrent pour la première fois la prétention d'assujettir les produits d'Aubusson et de Felletin à la visite et à la marque des jurés du métier de Paris. Il ne s'agissait pas d'une simple question de prééminence : le fond de la querelle était bien plus sérieux, car, en somme, les tapissiers de Paris voulaient « restreindre à quinzaine la faculté de vendre les tapisseries de la Marche, sans pouvoir demeurer toute l'année, ni les tenir en magasin. De là les procès que les fabricants de la Marche soutinrent énergiquement.
Enumérons rapidement les principaux incidents de cette lutte :
7 juin 1624 : Sentence du Châtelet rendue en faveur d'un fabricant d'Aubusson, ordonnant mainlevée de marchandises saisies à la requête des jurés tapissiers de Paris.
28 avril 1640 : Sentence qui déboute les tapissiers de Paris, prétendant interdire à ceux d'Aubusson et de Felletin le droit d'ouvrir un magasin à Paris, hors le temps des Foires (mainlevée avec dépens).
17 mai 1646 : Arrêt qui ordonne mainlevée d'un soubassement servant d'étalage et de deux pièces de tapisserie d'Aubusson. (Au XVIIe siècle on nommait soubassement un morceau de tapisserie attaché devant l'appui d'une fenêtre.)
2 avril 1676 : Sentence ordonnant mainlevée de quatre pièces de tapisserie d'Aubusson, que les tapissiers de Paris voulaient assujettir à la marque, avec dépens.
La visite et la marque étaient permises, mais sans pouvoir prétendre à aucun salaire, ni amende, et par les lettres patentes de 1665-1668, la visite et la marque sont absolument défendues.
I678, 1er mars : Sentence qui déboute les tapissiers de Paris, qui voulaient restreindre à quinze jours la faculté de vendre les tapisseries de la Marche :
21 janvier, 14 juin 1681 : Avis du procureur du Roy de sentence ordonnant mainlevée des tapisseries d'Aubusson qui étaient marquées d'un plomb aux armes du roi et de la ville.
19 juin 1682 : Sentence qui déboute les tapissiers de Paris de leurs prétentions à visiter les produits d'Aubusson qui étaient plombés, ordonne l'exécution des précédentes sentences et dit : que les tapissiers de Paris et d'Aubusson se porteront respect respectivement, et, condamne les tapissiers de Paris aux dépens.
4 septembre 1692 ; Sentence ordonnant mainlevée des soubassements mis aux portes des magasins des tapisseries de la Marche, qui avaient été saisis par les tapissiers de Paris.
7 mars 1681 : Sentence qui condamne Jean Bussière, tapissier rentrayeur à Paris, à ôter les tableaux, enseignes et inscriptions, et autres marques du « Magasin royal de tapisseries d'Aubusson, » qu'il avait fait mettre au devant de la maison, rue de la Huchette ; condamné à une amende de 10 livres et aux dépens.
En 1717, les tapissiers d'Aubusson dressèrent de nouveaux statuts réglant leurs droits, et en demandèrent l'homologation au Conseil.
Les tapissiers de Paris rédigèrent de leur côté d'autres statuts, dans lesquels nous lisons :
« Art. 1437. - Les tapisseries d'Aubusson et de Felletin seront assujetties à la visite et à la marque du métier de Paris. Il est enjoint aux tapissiers d'Aubusson de porter honneur et respect à ceux de Paris. Les tapisseries de la Marche devront être exécutées en lainé fines et en grand teint, »
A ces prétentions, les fabricants d'Aubusson et de Felletin répondirent par un mémoire vigoureux, où ils disaient :
« Qu'il n'appartient pas aux tapissiers de Paris de surveiller les manufactures de la Marche, qu'ils devraient se contenter de veiller à leurs propres ouvrages, ou plutôt qu'ils feraient bien mieux de commencer par apprendre leur métier... Qu'ils usurpent la qualité de tapissiers hauts lissiers, quand ils sont tout au plus rentrayeurs de vieilles tapisseries… Qu'on ne voit sortir de leurs mains aucun ouvrage neuf qui mérite l'approbation du public, et que ce sont des nouveaux venus qui pour se donner l’être ont été obligés de s'allier aux communautés des courte-pointiers et des couverturiers ... Qu'il a été nécessaire, en 1607, de faire venir à leur confusion des ouvriers des Pays-Bas pour leur apprendre leur métier, et qu'ils n'ont même pas su en profiter ... Que tout leur travail et leur art consistent à courir les inventaires, à cabaler, à former des associations illicites contre l'intérêt public et la liberté des transactions, à acheter toutes sortes de vieilles tapisseries, quelque défectueuses qu'elles soient, qu'ils rentrayent tant bien que mal pour les revendre et à faire le courtage des tapisseries neuves de, toutes provenances... Que la disposition du règlement de 1669, qui exige le fin et le grand teint, et la laine fine, n'a d'application qu'aux ouvrages du premier ordre, et nullement à ceux qui sont communs et grossiers, tels que la plus grande partie de ceux qui se fabriquent à Aubusson et à Felletin1.
« …Que les couleurs vertes et bleues qu'ils emploient sont solides, et que, pour les autres nuances, elles ne peuvent être que d'un teint ordinaire, bon à proportion de la qualité de l'ouvrage ...
« Que ces couleurs s'achètent chez les marchands de laine de Paris, où tout le monde se pourvoye ; qu'il n'y a que l'écarlate qui soit teint en fin, et que le fait est si constant, que sur cent livres de laine qui se vendent chez les marchands, il n'y en a pas dix de grand teint...
« Que cette disposition, que les tapissiers de Paris veulent introduire dans leur règlement, est toute nouvelle, et que depuis cinquante ans la majeure partie des ouvrages d'Aubusson et de Felletin ont été exécutés dans ces conditions sans qu'on ait jamais songé à les inquiéter à ce sujet...
« Que l'obligation de n'employer que des laines fines serait contraindre les fabricants de la Marche à ne faire que des ouvrages fins et de premier ordre, tandis que la majeure partie de leur production consiste en ouvrages communs et grossiers, qui sont achetés par le et les églises de province, qui ne veulent pas dépasser un certain prix et que tel peut bien acheter une tenture de tapisserie d'une valeur de quatre et cinq cents livres, qui n'a le moyen d'en acheter une de quinze, cents livres.
«... Que ce serait ruiner plus de dix mille familles, qui dans la Marche ne vivent que du commerce de la tapisserie, le pays étant stérile par lui-même, il n'y a que l'industrie qui les mette en état de subvenir à tous leurs besoins, de supporter les charges de toutes sortes et de payer les impositions.
« Que les bourgeois et autres citoyens moins opulents, même les étrangers, n'ayant pas le moyen d'acheter des tapisseries de Flandre, se contentent de celles d'Aubusson et de Felletin (dont la production annuelle s'élève à plus de 3,000 tentures) qui, quoique d'un

1. Nous avons vu dans les ordonnances de Charles-Quint qu'il n'y avait que les ouvrages d'un certain prix qui fussent assujettis au grand teint et à l'emploi des laines fines.


moindre prix, sont quand même bonnes en proportion, et servent à l'ornement des maisons et même des églises moins considérables...
« Que dans la confection des tapisseries de Flandre, les laines qu'on emploie pour les nuances des bordures ne sont pas toutes de teint fin, quoique le prix de ces tentures soit de beaucoup supérieur à celles d'Aubusson, et que même dans celles d'Oudenarde, qui sont les plus grossières, on est en usage d'ajouter plusieurs traits de peinture, ce qui ne se pratique pas dans celles de la Marche.
« …Qu'au surplus, les marchands et fabricants d'Aubusson et de Felletin ne prennent aucun intérêt, ni ne prétendent pas s'opposer aux statuts et règlements pour les ouvrages qui se feront à Paris, pourvu qu'ils n'y introduisent rien qui préjudicie aux fabricants de la Marche, qui ne sont en rien subordonnés à ceux de Paris, et qui sont gouvernés par leurs statuts particuliers… »
Le chiffre de trois mille tentures, auquel les marchands et fabrication d'Aubusson et de Felletin élevaient leur fabrication, nous parait quelque peu exagéré. Nous croyons qu'il eut été plus exact de dire : trois mille pièces de tapisseries, tant grandes que petites. De même, les manufactures d'Aubusson et de Felletin pouvaient faire vivre dix mille personnes, mais non pas dix mille familles, puisque d'après Le Vayer la population de la ville d'Aubusson n'était, en 1608, que de 2,100 habitants.
C'était, en grande partie, au prix réduit de leur fabrication que les tapissiers de la Marche devaient l'écoulement de leurs produits. En ce temps-là ; les ouvriers gagnaient peu, étaient accoutumés à vivre sobrement, et la plupart des matières premières se tiraient du pays même.
Les dessins, largement tracés, étaient d'une exécution facile. Mais cette production à bon marché ne s'obtenait qu'au prix de l'infériorité de la fabrication. Les causes du mal étaient toujours les mêmes : mauvaise préparation des laines et mauvais patrons.
Les sujets des tentures de luxe, nous l'avons dit plus haut, étaient tirés de gravures des œuvres des grands maîtres, mais les praticiens d'Aubusson, ignorant le dessin et, par suite, incapables de copier fidèlement leurs modèles, ne se faisaient pas faute d'en supprimer les parties que la maladresse les empêchait de reproduire, ou bien encore celles qu'ils estimaient devoir créer des difficultés aux ouvriers, pour l'exécution. En un mot, les modèles des
maîtres étaient travestis.
Les ordonnances de Louis XIV n'avaient pas été exécutées, en ce sens que l'on n'envoyé à Aubusson ni peintre, ni teinturier. Les fabricants, abandonnés à leurs seules ressources, ne pouvaient pas lutter pour les beaux produits avec les fabriques de Flandre, et en étaient réduits à ne travailler que pour le commun du royaume. »
Heureusement, les tapissiers de la Marche rencontrèrent un intrépide défenseur dans la personne de Fagon, fils du premier médecin du roi, d'abord maître des requêtes, puis intendant des finances et qui, plus heureux que les maréchaux de Villars et de Vendôme, a trouvé grâce devant Saint-Simon. « C'était, dit ce dernier dans ses Mémoires, le fils du premier médecin du feu roi, qui en ce genre (les finances) était d'une grande capacité et le montra bien dans la suite. »
Le 12 décembre 1730, le Conseil d'État approuvait un règlement concernant la manufacture de tapis d'Aubusson, qui confirmait les règlements de Colbert et établissait quelques dispositions nouvelles. Il fut autorisé par lettres patentes du 28 mai 1732. Voici l'analyse de ce règlement, qui comprend plus de trente articles.
Ceux qui voulaient se faire recevoir fabricants de tapisserie de haute et basse lisse étaient tenus de justifier par lettres et brevets qu'ils avaient fait au moins trois années d'apprentissage, et servi quatre autres années chez les maîtres en qualité de compagnons (art. 1er).
Les aspirants à la maîtrise étaient tenus de faire un chef-d'œuvre dans le bureau des jurés-visiteurs (art. 2).
On trouve encore quelques-uns de ces chefs d'œuvre. Ce sont, le plus souvent, des têtes d'après les tableaux de Vanloo, de Boucher ou de Watteau. Leur grandeur varie de 35 à 40 centimètres de hauteur, sur 30 à 35 centimètres de largeur. Ces études étaient encadrées par un petit champ bleu de France, dans lequel se lisaient le nom de l'ouvrier et le millésime. Pour exécuter un pareil travail, cinq ou six jours devaient sufire à un habile ouvrier.
Défense était faite aux femmes et aux filles de travailler à la fabrique des tapisseries de haute et basse lisse de la manufacture d'Aubusson et bourg de la Cour, à peine de 50 livres d'amende (art. 6).
Quels sont les véritables motifs d'une exclusion si sévère ? Nous l'ignorons, mais nous pensons que si elle était dictée, en partie, par un souci, très méritoire à celle époque, de l'hygiène publique, il faut y voir surtout la crainte, manifestée sans doute par les maîtres tapissiers, d'une baisse dans le taux des salaires, comme conséquence de la rémunération peu élevée du travail des femmes.
De nos jours, un grand nombre d'ouvrières sont employées par la fabrique d'Aubusson, et nous devons ajouter qu'en général elles font preuve de beaucoup d'aptitude pour ce genre de travail ; quelques-unes même possèdent un talent réel, surtout comme coloristes.
L'article 7 interdisait de fabriquer et de faire fabriquer aucunes tapisseries en haute et basse lisse hors de la ville et faubourgs d'Aubusson, et à 15 lieues à la ronde, à peine de confiscation des tapisseries, matières, métiers et ustensiles servant à leur fabrication, et de 300 livres d'amende.
Le bourg de la Cour et la ville de Felletin n'étaient pas compris dans cette interdiction.
Cet article fut-il appliqué rigoureusement ? Peut-être jusqu'en 1790 mais il tomba bientôt après en désuétude, et au commencement de ce siècle, vers 1810, dans les villages avoisinant la ville d'Aubusson, on se livrait en toute liberté à la fabrication des tapis. Les jours de marché, les gens de la campagne qui s'étaient rendus à la ville pour vendre leurs denrées, s'en retournaient, emportant avec eux leurs dessins et des laines assorties ;
Toutes les matières premières, laines et soies, qui entraient en ville devaient être déchargées devant le bureau des jurés-visiteurs. Les marchandises défectueuses étaient saisies et les contrevenants condamnés à une amende de 200 livres, que le juge ne pouvait ni remettre, ni modérer, pour quelque prétexte que ce fût (art. 8).
Le dégraissage des laines laissait souvent à désirer, soit que les matières grasses en usage pour la filature ne fussent pas épurées, soit que les procédés des teinturiers ou blanchisseurs fussent imparfaits. C'est pourquoi les maîtres fabricants et ouvriers étaient tenus de faire peigner et carder les laines avec de l'huile d'olive, et de les dégraisser on les faisant passer par une lessive douce faite avec de la gravelée et de la cendre fine de bois vert et neuf, et ensuite par une eau de savon. »
Les maîtres fabricants et ouvriers travaillant dans la ville et les faubourgs d'Aubusson et dans le bourg de la Cour étaient tenus de tisser, « autour de chaque pièce de tapisserie une bande bleue qui ne pouvait avoir plus d'un seizième d'aulne de largeur et de mettre dans la bande d'en bas le mot ; Aubusson, en caractères bien lisibles, avec les premières lettres de leurs nom et surnom, au métier et non à l'aiguille, à peine de 20 livres d'amende pour chaque pièce qui se trouvait en contravention, laquelle amende était payée solidairement tant par celui qui avait fait fabriquer que par celui qui avait fabriquée (art 11).
Les maîtres fabricants de tapisseries étaient autorisés à placer, tant au-dessus de la principale porte du bureau de leur communauté qu'au-dessus des portes de leurs ateliers, l'inscription suivante :
MANUFACTURE ROYALE DE TAPISSERIES.
Toutes les pièces de tapisseries devaient, au plus tard vingt-quatre heures après qu'elles étaient descendues du métier, être soumises à la visite des jurés, qui scellaient d'un plomb, portant d'un côté les armes du roi, avec la légende : Manufacture royale d'Aubusson, et de l'autre les armes de la ville, les tapisseries reconnues bien fabriquées et composées de bonnes matières, et qui confisquaient celles déclarées par eux défectueuses, Chaque pièce trouvée en contravention rendait le fabricant passible d'une amende de 50 livres (art. 14 et 15).
Les tapisseries marquées de ce plomb, dont l'apposition coûtait un sou par pièce aux fabricants ; pouvaient être vendues dans toute l'étendue du royaume, et même à l'étranger, sans être assujetties à de nouvelles visites ou marques (art. 18)
Les marchands et maîtres fabricants de la ville d'Aubusson étaient tenus de s'assembler tous les ans, le lendemain de la fête de Sainte-Barbe (patronne des tapissiers d'Aubusson), devant le juge de police de ladite ville, pour choisir et nommer à la pluralité des voix deux jurés-visiteurs, l'un parmi les marchands de tapisseries, et l'autre parmi les maîtres fabricants, pour remplacer les deux anciens jurés-visiteurs qui sortaient d'exercice ledit jour, lesquels jurés nouvellement élus servaient, pendant deux années, la première avec les deux jurés visiteurs de la précédente élection, en qualité de nouveaux, et la seconde en qualité d'anciens jurés, et prêtaient serment devant ledit juge de bien et dûment exercer leur commission (art. 20).
Leurs fonctions consistaient, comme nous l'avons vu, à visiter les tapisseries, à les plomber, à tenir un registre sur lequel étaient inscrites les pièces de tapisseries qui leur étaient soumises, avec les noms des fabricants ou marchands qui les avaient fait fabriquer, et les noms des ouvriers et compagnons qui les avaient fabriquées.
Il leur était ordonné (art. 21) de « visiter quand bon leur semblait, au moins une fois la semaine, tous les ateliers de fabrication, afin d'examiner si les fabricants n'employaient pas, tant dans la chaîne que dans la trame, des soies et des laines défectueuses, ou de laines de moutons ou de brebis morts de maladie, ou une sorte de filasse de lin, nommée fil de coton d'Epinay, ou de fil de lin et de chanvre, ensemble chez les blanchisseurs de laines, pour connaître s'ils dégraissaient avec du savon et de la gravelée, et chez les teinturiers pour examiner s'ils se servaient dans les teintures des ingrédiens prescrits par les règlements généraux. »
Toutes les matières défectueuses étaient saisies ; puis, suivant la nature de la contravention, le juge condamnait les délinquants soit à la confiscation de leurs marchandises saisies, soit à l'amende, dont il avait l'appréciation.
Les jurés visiteurs étaient, durant le temps de leur exercice, exemptés du logement des gens de guerre, de la collecte des tailles, de la tutelle, curatelle et autres charges publiques. En outre, lorsqu'au moment de leur entrée en exercice, ils se trouvaient imposés à plus de douze livres de taille, leur cote était diminuée de douze livres pendant chacune des deux années de leur exercice. Ceux qui se trouvaient imposés à la somme de douze livres et au-dessous ne payaient plus que vingt sols (art. 22).
De plus, le tiers des amendes et des confiscations prononcées pour infractions aux règlements leur appartenait (art. 27).
Il était défendu aux maîtres et aux compagnons et ouvriers de quitter les marchands ou les fabricants chez lesquels ils étaient occupés pour aller travailler ailleurs sans leur congé par écrit, à peine de dix livres d'amende.
Dans le cas où lesdits maîtres et lesdits compagnons et ouvriers devaient quelques sommes aux marchands et aux maîtres fabricants qu'ils quittaient, elles devaient être remboursées par celui chez lequel ils entraient pour travailler (art. 23).
Lorsque le marchand ou le maître fabricant ne pouvait ou ne voulait donner à,travailler à son ouvrier, il était tenu de lui donner un congé par écrit pour aller travailler ailleurs, et si son ouvrier lui devait quelque somme pour avance à lui faite, elle devait lui être remboursée à raison de trois livres, et de trois mois en trois mois, jusqu'à l'entier payement (art. 24),
Tout ouvrier qui ne rendait pas un compte fidèle des matières premières qui lui avaient été confiées pour exécuter un travail ; était condamné pour la première fois à payer la valeur de ce qu'il en manquait, et en cinquante livrés d'amende, et, en cas de récidive, outre les peines ci- dessus, il était déchu de sa maîtrise ou censé incapable d'y parvenir (art. 25).
Il était défendu à tous peintres, marchands, maîtres fabricants et ouvriers de tapisseries de copier ou faire copier les dessins qui avaient été faits ou achetés aux dépens des marchands et maîtres fabricants, à peine de cinq cents livres d'amende contre chaque contravention (art. 26).
Conformément aux lettres patentes du mois de juillet 1665, un peintre entretenu aux frais du roi, devait être envoyé incessamment à Aubusson pour faire les dessins de tapisseries qui y seraient fabriquées, former des élèves et avoir inspection sur les ouvriers de ladite manufacture, pour la beauté et régularité des nuances desdites tapisseries (art. 28).
Le roi envoyait également à ses frais à la manufacture d'Aubusson un teinturier habile pour instruire les teinturiers de cette ville dans l'art de faire le grand et bon teint, et teindre concurremment avec eux toutes les laines qui devaient être employées.
Le contrôleur général des Finances était chargé du choix du peintre et du teinturier, lesquels étaient exempts de toutes impositions, logement des gens de guerre et autres charges. publiques en ladite ville (art. 29).
Enfin, l'article 30, conformément aux lettres patentes de juillet 1665, ordonnait « que les procès et différends qui pourraient naître entre les marchands, maîtres fabricants, compagnons et ouvriers de la manufacture d'Aubusson, lesdits procès et différends mus et à mouvoir pour raison de ladite manufacture, circonstances et dépendances seraient traités sommairement par devant le juge de ladite ville, et par lui jugés en la forme et manière que le sont les causes de la compétence des juridictions consulaires, sans que lesdits procès ou différends pussent être distraits ni évoqués ailleurs, sous prétexte de Committimus ou autres priviléges de quelque nature qu'ils pussent être. »
Cet article ordonnait en outre « que lesdits Procès et différends seraient terminés et jugés en dernier ressort et sans appel par ledit juge d'Aubusson, pourvu que la condamnation n'excédât pas la somme de deux cent cinquante livres et par provision, sauf l'appel au Parlement, si la condamnation excédait ladite somme. »
Divers jugements, rendus dès 1724, dans les audiences de police du lieutenant général des Manufactures royales, nous donnent la preuve que ce règlement n'était que la confirmation de règlements plus anciens et qui recevaient depuis longtemps leur application. .
C'est ainsi que le 3 mars 1724, deux tapissiers, d'après le procès-verbal des jurés en charge, sont condamnés pourait filgros à vingt sous d'amende chacun. Un autre est condamné pour récidive à dix livres.
Dans une autre audience, sur les rapport et procès verbal, des jurés des Manufactures royales des tapisseries d'Aubusson, à propos de contraventions pour défectuosités dans le dégraissage et la teinture des laines, quatre marchands et ouvriers tapissiers, en contravention, sont frappés d'amende, et les laines confisquées au profit de l'hôpital, suivant les règlements de la Manufacture.
Le règlement du 17 décembre 1730, autorisé par les lettres patentes du 28 mai 1732, fut bientôt suivi d'un arrêt du Conseil d'État en date du 14 avril 1733, par lequel le roi nommait le sieur Laboreix de la Pigne, juge ordinaire et de police en la ville d'Aubusson, en qualité d'inspecteur des manufactures et fabriques de ladite ville, afin d'assurer d'une manière plus efficace l'exécution du règlement précité.
Nous avons vu avec quelle vigueur les fabricants d'Aubusson et de Felletin combinèrent leurs efforts pour résister en commun aux prétentions des tapissiers de Paris, Malheureusement, la rivalité qui séparait les deux villes, une fois le danger écarté, se faisait jour de nouveau. Après avoir raconté les grandes luttes industrielles de Gand et de Bruges,
nous épargnerons au lecteur le récit des petites querelles des marchands tapissiers d'Aubusson et de Felletin.

Il nous suffira de dire que, dès 1717, les fabricants d'Aubusson, voulant établir leur suprématie sur ceux de Felletin, demandèrent : « que toutes les tapisseries de Felletin qui seraient achetées par les marchands d'Aubusson ne pussent être transportées dans aucune ville qu'au préalable elles n'aient été visitées par les jurés de la manufacture d'Aubusson, qui, si elles se trouvaient bien fabriquées, les marqueraient d'un plomb sur chaque pièce, portant au revers cette inscription : « Tapisserie de Felletin, visitée par jurés de la manufacture d'Aubusson », afin, disaient-ils, de distinguer les bons ouvrages d'avec les défectueux. »
Cette prétention fut repoussée par le régent. Mais, comme les fabricants de Fellelin, malgré l'ordonnance de 1732 et pour donner plus de valeur à leurs produits, ne se faisaient pas faute d'encadrer leurs tapisseries de la bande bleue traditionnelle d'Aubusson, sur laquelle ils inscrivaient le nom de cette ville, une ordonnance du 20 novembre 1742 les assujettit à entourer leurs tentures « d'une bande de couleur brun foncé, d'un seizième d'aulne de largeur. » Cette ordonnance qui portait un préjudice sérieux aux tapisseries de Felletin ne fut rapportée qu'en 1770.
Le plus grand service que Fagon rendit aux manufactures d'Aubusson fut d'envoyer dans cette ville un peintre d'un talent réel, Joseph Dumont, dit « le Romain, »auquel, s'il est permis de lui reprocher une certaine dureté comme coloriste, il faut accorder une grande habileté comme dessinateur. C'est à lui qu'Aubusson doit sa première école de dessin ; grâce à ses leçons, toute une classe de peintres instruits dans leur art se forma dans cette ville, et leurs modèles contribuèrent plus tard à élever considérablement le niveau artistique de la fabrication.
Mais ce ne fut qu'au prix de luttes incessantes avec les ouvriers et les fabricants que Dumont parvint à obtenir de ces derniers qu'ils se conformassent à ses modèles. Les peintres des fabriques, au lieu de copier fidèlement les originaux de Dumont, se permettaient d'altérer l'ordonnance de ses compositions, d'en déplacer les figures et même d'en supprimer certaines parties, sous le prétexte que les ouvriers exigeaient d'eux de pareilles mutilations.
L'intendant de Moulins, François de la Porte, fut informé de ces faits. En conséquence, il donna l'ordre à M. de la Pigue, son subdélégué à Aubusson, de tenir la main à ce que désormais les modèles de Dumont fussent exactement reproduits, que toutes les copies fussent confrontées avec l'original avant d'être délivrées aux ouvriers ; et il enjoignit aux jurés d'avoir à rejeter toutes les tapisseries qui ne seraient pas exécutées conformément à ces prescriptions et de frapper les récidivistesde trente livres d'amende (20 novembre 1741).
M. de la Pigne (Gabriel Laboreys), conseiller du roi, Président châtelain, juge royal, criminel, civil, commissaire examinateur en la ville et châtellenie d'Aubusson, réunissait à ces charges celles d'inspecteur de la manufacture d'Aubusson depuis 1733, et de Felletin depuis 1735.
L'importance toujours croissante de la fabrication d'Aubusson et de celle de Felletin, la création de l'industrie des tapis de pied dits veloutés nécessitèrent bientôt la nomination d'un second inspecteur ; et, par commission spéciale, en I745, M. Michel Laboreys, de Chateaufavier, fils de M. de la Pigne, fut investi des fonctions d'inspecteur des manufactures d'Aubusson et de Felletin, avec un traitement annuel de 1200 livres payable au trésor royal, et qui fut élevé à 2,000 livres à dater du 1er février 1753. Jusqu'en 1759, ces fonctions d'inspecteur restèrent dans la famille Laboreys, dont tous les membres se distinguèrent autant par leurs talents que par leurs bienfaits.
Afin de remédier aux inconvénients que, nou avons signalés plus haut, et pour soustraire les manufactures à l'influence des mauvaises copies, deux écoles gratuites de dessin, comprenant douze élèves chacune, furent créées à Aubusson, sur la proposition de M. de la Porte, qui en confia la direction à deux des meilleurs élèves de Dumont : Finet et Roby.

Chaque année, des prix étaient distribués à ceux des élèves qui, au jugement de M. l'Intendant de la province, s'en étaient montrés dignes par la supériorité de leurs travaux. « Le désir d’atteindre à cette distinction développe dans ces jeunes sujets et féconde le germe des talents, » dit un rapport de M. de Chateaufavier.
Dumont, qui, de 1731 à 1755, remplit les fonctions de peintre en titre des fabriques d’Aubusson, recevait sur les fonds des fermiers-généraux 1800 livres par an. Il devait faire un voyage à Aubusson tous les deux ans, ce qui lui valait une indemnité de 800 livres. Il s’engageait à livrer, chaque année, à la Manufacture royale, six tableaux et trois dessins pour les tapis de pieds, le tout pour la somme de 300 livres.
En 1754, la subvention que le roi accordait aux fabriques d’Aubusson s’élevait à 6,400 livres, qui se répartissaient entre l’inspecteur, les peintres, teinturier et assortisseur, et servaient en outre à diverses gratifications.
Un teinturier des Gobelins, nommé Fimazeau, arriva à Aubusson en même temps que le peintre Dumont. Fimazeau perfectionna les anciens procédés de teinture et indiqua de nouveaux. A son départ, en 1733, Pierre de Montezert, d’une ancienne famille de teinturiers de la ville, fut nommé teinturier pour le Roy à Aubusson, avec une gratification de 100 livres par an.
Quant au peintre Dumont, dès 1751 il avait été remplacé comme peintre des manufactures royales d’Aubusson et de Felletin par Jacques Juliard, dont le traitement était de 3,400 livres. En outre, à la même époque, Roby, l’un des meilleurs élèves de Dumont, avait été chargé par l’intendant de Moulins de la fourniture des dessins pour tapis de pied. Son fils, François Roby (de Faureix) lui succéda ; il avait étudié à Paris et fut, sans contredit, l'un des peintres les plus distingués qu'ait possédés la manufacture royale. A partir de 1770, il accompagnait les jurés-gardes dans leurs opérations, pour la visite et la marque des tapisseries. Chaque année, conjointement avec le peintre La Seiglière de la Cour, il devait fournir aux fabriques de Felletin deux dessins de verdure, au prix de 110 livres chacun, payés par le roi.
La plupart des dessins que Roby, La Seiglière de La Cour et Finet (fils d'un professeur de l'école de dessin de Dumont) exécutaient pour les manufactures d'Aubusson et de Felletin étaient peints sur papier et en grisaille, au moyen de couleurs à cinq tons (composées ordinairement avec de la suie délayée dans l'eau), et de quelques rehauts de blanc et de bistre.
Les, meilleurs élèves sortis des écoles de dessin d'Aubusson étaient admis à suivre les cours de l'Académie royale de peinture à Paris ; ils y étaient entretenus aux frais de l'État, et ils rapportaient plus tard dans leur ville natale les copies des tableaux les plus remarquables de l'époque et des tapisseries exécutées aux Gobelins et à Beauvais.
Avec le concours de ces peintres distingués et de ces teinturiers habiles, la manufacture d'Aubusson atteignit un degré de prospérité qu'elle ne connaissait plus depuis Colbert. L'emploi, de plus en plus répandu, de la tapisserie pour recouvrir les meubles apporta un nouvel élément de succès au développement de sa fabrication. La gravure avait popularisé les œuvres de tous les maîtres et les archives industrielles sont riches en spécimens de tous les peintres de cette époque. C'est ainsi que nous y trouvons, pour les tentures, des chasses de Wouwermans, de Van Falens, de Bénard ; les comédies de Molière d'après Boucher ; - des scènes de Télémaque d'après Cazes, Coypel (N.), Sanville, Humblot, Monnet ; -les aventures de Don Quichotte par Coypel (Ch.) ; les œuvres de Sébastien Le Clerc, de Cochin, de Watteau ; les âges de Lancret, etc ...
Les peintres d'Aubusson aimaient aussi à reproduire les grands sujets décoratifs de C. Gillot, en même temps qu'ils trouvaient dans ses cahiers d'ornements les encadrements, les plus gracieux et les plus variés pour leurs dessins. Le peintre Juliard paraît avoir eu la spécialité de copier des peintures de marine d'après Joseph Vernet.
Les œuvres de Boucher et de Watteau furent reproduites en tapisserie dans leur entier, depuis les bergeries jusqu'aux Chinois et aux sujets militaires. Les plus grands motifs étaient réservés pour les tentures, les plus petits servaient pour les dessins de meubles.
Mais la vogue était surtout aux fables de Lafontaine, traduites par Oudry, dont les grandes chasses décoraient les salles à manger, les châteaux, etc.
Il serait trop long de donner la liste détaillée de tous les modèles des fabriques d'Aubusson et de Felletin, pendant, le XVIIIe siècle : à coté des Berghem, des Paul Potter, des Poussin, des Lebrun, des Mignard, des Jouvenet, de l'histoire de l'enfant prodige d’après C. de Wael, nous rancontrerons les sujets risqués de Pater, de Baudoin, de Queverdo, et jusqu’aux bambochades d’un Saxon nommé Scheneau.
Les intendants, pour doter les fabriques d’Aubusson d’ouvriers habiles, encourageaient ceux qui pouvaient aller travailler aux Gobelins et qui revenant après plusieurs années d’absence dans leur ville natale, étaient en mesure de faire profiter leurs compatriotes de l’expérience qu’ils avaient acquident.
C’est ainsi qu’en 1754 un ouvrier nommé Richerd reçut une gratification de 200 livres.
A la même époque, un certain nombre d'ouvriers, qui s'étaient perfectionnés aux Gobelins, arrivèrent à Aubusson. Nous pensons qu'il faut voir en eux les premiers officiers de tête de la manufacture. On désignait de la sorte les ouvriers, en petit nombre, qui étaient spécialement chargés de faire les chairs des personnages dans les tapisseries. Ils se, rendaient chez tous les ouvriers avec leur assortissement de couleurs, pour travailler aux parties difficiles des ouvrages. Leur collaboration est facile, à constater dans certaines pièces à personnages dont les têtes sont finement traitées, tandis que l'exécution des autres parties est plus grossière. Ils finirent par acquérir une grande habileté, et à tel point que, non moins audacieux qu'Arachné, quatre tapissiers d'Aubusson, en 1779, s'offrirent à, fabriquer en haute et basse lisse, sur les dessins qui leur seraient confiés, des tapisseries aussi finement exécutées que celles des Gobelins et de Beauvais. Mais la seule chose qui leur manquât, l'argent, leur fut refusée !
Il existe néanmoins quelques tapisseries de cette époque, provenant de la manufacture d'Aubusson, et dont le faire rappelle assez bien la fabrication de Beauvais ; certaines têtes de personnages ne sont pas indignes des ouvriers des Gobelins.
Felletin qui, de 1742 à 1758, avait vu le nombre de ses métiers descendre de 233 à 86, venait de retrouver, elle aussi, son ancienne prospérité, grâce à des fabricants intelligents et habiles, tels que les Bandy de Nalèhe, les Tixier , les Sallandrouze.
En 1770, Jacques Sallandrouze de Larnornaix envoya son fils Jean étudier le dessin à Lyon. Il lui donna ensuite pour maître Bellanger, peintre du roi. II espérait ainsi, à l'aide de son fils, affranchir les fabricants de Felletin de l'obligation dans laquelle ils s'étaient trouvés jusqu'alors de s'adresser pour leurs dessins aux peintres d'Aubusson. Le roi leur avait déjà permis de recevoir à ses frais, annuellement, deux dessins de verdures, mais les peintres Roby et La Cour qui étaient chargés de les fournir avaient refusé de travailler en 1777, alléguant qu'on ne les payait pas.
La fabrication de Felletin consistait surtout en verdures ou paysages, tirés principalement des œuvres de Perelle. Dans les tapisseries de ce temps là se rencontrent tous les genres de paysage, depuis les marines jusqu'aux paysages historiques.
Les tentures ordinaires devaient se vendre de 30 à 40 francs le mètre carré. Tous les fauteuils à fleurs, d'après Baptiste ou Bachelier, avec personnages et animaux, ornements ou sur des terràsses, étaient du prix de 55 à 60 francs.
On en payait la façon 30 francs aux ouvriers. La qualité était celle du demi-fin commun d'Aubusson et de 26 à 28 portées.
De tous les peintres du XVIIIe siècle, celui qui a fourni les plus précieux modèles aux manufactures d'Aubusson, c'est Huet. Ses charmants motifs à fleurs, ses gracieux rinceaux, ses petites compositions à personnages et à animaux, pleines de finesse et de naturel, furent reproduits en tentures, draperies, panneaux, dessus de portes, etc…
Lorsque le peintre Juliard obtint sa pension de retraite en 1780, Hansen fut appelé à lui succéder. Il y a quelques années encore, on trouvait à Aubusson quantité d'esquisses de cet artiste, dont les compositions, moins fines et moins savantes que celles de Huet, avaient néanmoins une certaine grâce. Elles ont servi pour la décoration des meubles, des panneaux, des dessus de porte.
Mais déjà, dès 1780, les fabriques de tapisseries étaient languissantes et les ouvriers émigraient. A cette époque d'ailleurs, c'est un malaise général : conséquence fatale des dernières années da gouvernement de Louis XV, qui léguait à la France la banqueroute et la révolution.
En 1788, le chômage et la cherté des grains provoquèrent une émeute à Aubusson, et il fallut y envoyer le régiment de cavalerie du Royal-Guyenne.
C'est pendant ces tristes années que se fermèrent les dernières fabriques de Flandre. La paix de Munster avait eu des conséquences désastreuses pour le commerce de la Belgique, qui fut le champ de bataille sur lequel la France soutint longtemps les efforts de l'Europe coalisée contre elle. Le sol fie la Flandre fut foulé par les armées de tous les partis en lutte. Bruxelles, bombardée en 1695, vit disparaître les monuments les plus précieux de ses archives. Enfin, le système protectionniste de Colbert avait fermé l'entrée de la France aux produits belges. Malgré tous ces désastres, les fabricants de tapisseries belges continuèrent à lutter avec courage.
Avant que la manufacture française des Gobelins fût en pleine activité, Louis XIV faisait acheter aux marchands d'Anvers plusieurs pièces de tapisserie. Ces belles tentures, exécutées d'après les cartons du peintre Van Cléef, furent placées à Versailles.
A Oudenarde se fabriquaient surtout des verdures qui reproduisaient souvent les délicieux tableaux de Berghem, de Paul Patter et de Bath. La production de cette ville dans ce genre avait fait donner le nom générique d'Oudenardes à toutes les tapisseries de verdures.
La Belgique possède encore nombre de ces tapisseries du XVIIe et du XVIIIe siècle. Nous citerons entre autres : les tentures de l'Hôtel de Ville de Bruxelles, représentant l'histoire de Clovis, l'abdication de Charles-Quint, etc… ; les magnifiques tapisseries de la cathédrale de Bruges : huit scènes du Nouveau Testament, fabriquées en 1742 et portant la marque de Bruxelles : deux B placés de chaque côté d'un écu de gueule. Ces tapisseries sont dignes des Gobelins.
On remarque, au Musée de Bruxelles, une peinture qui représente une procession dans laquelle on voit défiler les différentes corporations des métiers de la ville, et qui indique qu'en l'an 1l6 le nombre des maîtres tapissiers de cette ville s'élevait à 103.
Par une ordonnance du magistrat, du 15 mars 1647, ayant pour but de maintenir dans son lustre l'industrie de la tapisserie, qui était alors très florissante à Bruxelles, il est stipulé que les marchands de tapisseries non admis dans le métier et qui feraient fabriquer une chambre de tapisseries, ne pourraient en partager les patrons qu'entre deux maîtres ; lesquels maîtres devront apposer leurs marques et noms à leurs ouvrages, sans pouvait, y joindre ceux des marchands, sous peine d'une amende de 100 florins du Rhin. - C'est à M. Wauters, archiviste de la ville de Bruxelles, que nous devons la communication de cette ordonnance. Il nous permettra de saisir, cette occasion de lui adresser nos plus vifs remercîments pour la bienveillance extrême qu'il a mise, à nous guider dans toutes nos recherches.
Rappelons ici que les manufactures françaises, à toutes les époques, demandèrent à la Flandre leurs meilleurs maîtres tapissiers.
Les fabricants belges ne se contentaient pas de reproduire les tableaux des peintres de l'école flamande et hollandaise : de Franc-Floris, de Martin de Vos (dont l'œuvre entier, les sujets religieux comme les sujets profanes, se rencontre en tapisseries aussi fréquemment que celui de Teniers), de Van Ostade, de F. Steen. Dans un tableau de ce dernier ; Une Noce de village, on remarque, comme fond, une tapisserie de verdure à bordure jaune1, de Diepenbeck, dont les belles compositions mythologiques du « Temple des Muses, » livre dédié à l'abbé de Marolles, ont dû fournir de nombreux dessins de tentures ; mais ils empruntaient aussi aux Gobelins leurs plus beaux modèles.
1.Musée d'Amsterdam, Une Noce de village.
Le 19 juillet 1763, à l'Hôtel de Ville de Bruxelles, on vendit une grande et belle tapisserie, fabriquée par Pierre Van der Borght, sur les dessins de M. de Haëse, peintre de l'Empereur d'Autriche, et 7 pièces avec figures, dans le goût de Wouwermans, et dont l'auteur pourrait bien être l'artiste qui a signé les belles tentures de la cathédrale de Bruges.
La même année eut lieu la vente du matériel de Pierre Van den Hecke et de nombreuses pièces de tapisseries, parmi lesquelles l'histoire de l'Amour et de Psyché, d'après Van Orley ; les Femmes illustres, d'après de Haëse ; l'histoire de Don Quichotte, et les Saisons de l'année, probablement d'après Mignard.
En 1710, le mestier des teinturiers à Bruxelles était réduit à un seul maître, pour les couleurs
fines. nécessaires à la tapisserie. C'est pourquoi, par ordre du Conseil d'Etat, il fut décidé que tous les teinturiers seraient admis librement à la maîtrise, à la seule condition de faire preuve de connaissance de leur métier.
Brandt fermait ses ateliers en 1784. On conserve au château de Zele plus de 100 grandes tentures de ce fabricant célèbre.
Nous lisons dans Derivai1 : La fabrique de tapisseries est réduite à 3 métiers ; il y a longtemps qu'elle serait tombée tout à fait si le comte de Cohentzel ne l'avait soutenue de ses deniers.
Forster raconte que, pendant son voyage dans les Pays-Bas en 1790, il visita la fabrique d'un nommé Van der Berg, qui se trouvait réduite à 5 ouvriers, alors que les magasins regorgeaient de matières premières et de marchandises fabriquées. Il y avait là des tapisseries magnifiques d'après Téniers, Lebrun, etc., qui se vendaient 2 carolus l'aulne. (Le carolus valait alors. 13 livres 15 sous.)
La manufacture de Gand tomba la première. Celle de Bruxelles se soutint encore, quoique languissante, jusqu'en 1788. Mais les troublas qui survinrent alors, le discrédit que la mode jeta sur ce genre d'ameublement parmi les gens riches, les seuls qui puissent en faire usage, la dispersion des artistes et des ouvriers : tout contribua à la ruine de cette manufacture si renommée ! (Statistique du département de la Dyle.)
En France pendant la période révolutionnaire, l'industrie des tapisseries eut beaucoup à souffrir. Cependant, il ne paraît pas qu'elle ait jamais été complétement abandonnée. Les archives révolutionnaires de la Creuse nous fournissent la preuve que les fabriques d'Aubusson ne chômaient pas tout à fait, même en 1791, à l'époque de la levée des volontaires. Nous lisons en effet dans une lettre que les administrateurs du département adressaient, à cette époque, aux négociants de la ville de Hambourg ; en réponse à la proposition que ces derniers avaient faite d'acheter un approvisionnement de grains, pour parer à la disette :… « Les commerçants de Paris tiraient une grande partie des marchandises qu'ils vous fournissaient de la manufacture d'Aubusson. Cette ville est située dans notre département, nous pourrions établir une correspondance directe entre vous et les manufacturiers… vous payeriez nos tapisseries en grains, « en pelleteries, etc… »
Mais ce fut l'habitude qu'avaient prise les manufacturiers d'Aubusson de fabriquer des tapis de pied et de la tapisserie commune qui sauva leur industrie pendant cette période de trouble.
Les papiers de tenture venaient de remplacer les panneaux en tapisserie, et la fabrication des meubles tapissés devait rester longtemps interrompue.
C'est alors que l'idée vint, pour donner du travail aux ouvriers et utiliser les matières premières tirées du pays même, de fabriquer des pièces plus grossières : ainsi prit un nouvel essor la fabrication des tapis de pied, dont l'usage devait se répandre chaque jour davantage, la modicité du prix les mettant à 'la portée de toutes les bourses.


1. Derival, Voyage dans tes Pays-Bas autrichiens, tome I, page 173.

On fit les chaînes en étoupes, on employa pour la trame de grosses laines du pays, et Aubusson put livrer au commerce des tapis d'une solidité à toute épreuve, à raison de 12 francs l'aune carrée. Certes, les dessins n'étaient plus la reproduction des plafonds de Lemoyne, de Charmeton, de Sébastien Leclerc, etc. Il n'était plus question des ornements d'après Cauvet et Salembier… Les compositions ne variaient guère : une grecque pour bordure, un semis de petites fleurs, largement espacées et une rosace dans le milieu.
Sous l'Empire, on reprit la fabrication des grands tapis dans le style de Percier, de Fontaine, - des tapisseries pour meubles de formes grecque et romaine, avec des oiseaux mythologiques, des sphinx, des phénix, des vases antiques, des brûle-parfums et des génies. Aubusson possédait encore les peintres que l'ancienne école de dessin avait formés Roby, La Seyglière, Desfarges qui mourut prématurément en 1817 et qui promettait un brillant avenir ; et d'autres encore. Ils contribuèrent puissamment au relèvement de la manufacture d'Aubusson, parce qu'ils joignaient à une connaissance approfondie du dessin une habileté de main peu commune. D'après les croquis de Percier, Fontaine, Saint-Ange, Barraband, Lagrenée et Dubois, ils firent les patrons des tapis de pied et de grandes tentures commandées pour la couronne, les maréchaux et la noblesse de l’Empire ; - patrons qui recevaient leur exécution dans les fabriques de MM. Sallandrouze de Lamornaix, Rogier et Debe.
A l'époque de la Restauration, la clientèle d'Aubusson se composait de toutes les illustrations européennes ; et lorsque Jean Sallandrouze de Lamornaix mourut, il léguait à son fils, Charles, qui fut pendant vingt ans député de la Creuse, et que l'on regarde comme l'un des promoteurs des expositions universelles, une manufacture et une clientèle uniques, qui contribuèrent puissamment à la célébrité d'Aubusson.
De 1825 à 1842, la fabrication consista principalement en tapis de pied dont quelques-uns étaient remarquables par une grande richesse de dessin et unee rare finesse d'exécution. Quant aux tapisseries pour meubles, l'usage en semblait perdu ; les cornmandes étaient peu nombreuses : on demandait principalement des rideaux (dont l'éclat était rehaussé par des fils d'or et d'argent) des tapis de tables, etc…
Cependant, le luxe reparaissait, et avec lui la richesse dans les ameublements. Les manufactures d'Aubusson et de Felletin reprirent peu à peu la fabrication des tapisseries pour meubles.
Les ouvriers se perfectionnèrent dans leur art ; des fabricants intelligents s'adressèrent, pour leurs modèles, aux peintres les plus distingués de Paris, les procédés de teinture des laines avaient progressé, et l'ancienne tradition des maîtres tapissiers s'étant renouée, Aubusson et Felletin, en 1852, brillaient d'un vif éclat. Jamais, à aucune époque, même sous Colbert, ces deux villes n'avaient connu une telle prospérité, ni occupé un nombre aussi considérable d'ouvriers habiles.
Avec des commandes, le talent des ouvriers tapissiers ne fit que grandir chaque jour ; et cette marche ascendante vers le progrès ne s'arrêtera pas dans l'avenir, nous en avons l'espérance, surtout si les fabricants ont la sagesse de ne confier à leurs praticiens que de bons modèles à exécuter.
Les noms de tous les fabricants et ouvriers tapissiers qui, dans nos luttes industrielles, à toutes les expositions, soutinrent avec succès l'antique renommée d'Aubusson et de Felletin, se trouvent inscrits au livre d'or de l'industrie.
Qu'il me soit permis, parmi tant d'autres ; de lui emprunter celui de mon père, Emile Castel, qui, après avoir obtenu la grande médaille d'or, à l'exposition de 1844, reçut, en 1851, la croix de chevalier de la Légion d'honneur. Le lecteur me pardonnera cette citation professione pietatis.
Tapisserie tissée main à Aubusson Patrimoine de l'Unesco en 2009
Tapisserie d'Aubusson
Tapis d'Aubusson
Tapisserie à réaliser soi-même
e-boutique http://www.tapisserie-royale-aubusson.fr
© Tapisserie Royale - Design Anatha - Réalisé par KerniX - Plan du site - Aubusson