Tapisserie-royale

AUBUSSON


Les tapisseries

I


Les tapisseries dans l'antiquité. - Le métier grec. - Le métier égyptien. - La tapisseried'Arachné décrite par Ovide.
Procédés de teinture employés par les anciens. - Le travail dans la Gaule sous la domination romaine. - Les tapisseries d'Orient au v· siècle - Métiers de tapisserie dans les monastères.

Pline, après avoir indiqué sommairement les procédés qu'employaient les Égyptiens pour teindre les étoffes blanches, nous déclare, en parlant de' la teinture, qu'il néglige de décrire des opérations qui n'appartiennent pas à un art libéral. Ce dédain pour les arts utiles était aussi un des traits saillants du caractère du peuple grec : qui réservait son enthousiasme pour le culte des Beaux-arts ; et ce n'est que par quelques citations éparses dans les auteurs anciens, et un petit nombre de peintures recueillies parmi les débris de l'antiquité ; que nous 'pouvons avoir une idée de son industrie et de ses instruments de travail.
L'art de broder les étoffes tissées remonte à l' époque la plus reculée. Les Hébreux en attribuaient l'invention à Noëma, fille de Noé ; les poètes et quelques philosophes, tels qu'Aristote et Pline, à une fille d'Apollon nommée Pamphile,
Varron, Pline, Servius disent, mais certainement à tort, qu'Attale fut le premier qui imagina de tisse l'ensemble l'or, l'argent et la soie, et le poète persan Ferdoucy nous apprend que, ce fut un ancien souverain des Perses, nommé Thamuraz, qui enseigna à son peuple l'art de tisser les tapis .
Dans tous les récits des temps fabuleux, héroïques et historiques, il est fait mention de ce genre de tissu.
C'est pour avoir osé défier Minerve dans l'art de, la broderie, qu'Arachné fut métamorphosée en araignée par la déesse irritée, et Philomèle, privée de l'usage de sa langue, broda sur une toile le récit de ses malheurs et du crime de Térée.
Un savant professeur, dans un essai sur les artistes homériques, n'est pas éloigné de croire que les tapisseries brodées par Hélène et Andromaque, sur lesquelles ces princesses avaient représenté les principaux épisodes du siége de l'oie, ont pu inspirer le chantre de l'Iliade et de l'Odyssée, Les guerriers de l’Illiade délibèrent assis sur des tapis de pourpre, et Clytemnestre, dans la tragédie d'Eschyle, fait étendre sous. les pieds d'Agamemnon les riches tapis qu'il doit fouler pour pénétrer dans. son palais, où il va tomber sous les coups d'Égisthe.
Dans les somptueuses demeures de Babylone les murs étaient tendus des plus riches étoffes. D'après Pline, des tissus fabriqués dans' cette ville furent vendus à Rome, vers la fin de ·la république, pour une somme qui équivaut à plus de 160 000 francs de notre monnaie ; environ deux cents ans après, Néron les achetait au prix de 400 000 francs.
Un passage du Traité des récits merveilleux, attribué à Aristote, mérite de fixer notre attention. Sybaris dont parle le récit était une ville de l'Italie méridionale bâtie sur les bords du Crathis, qui exerça pendant quelque temps une véritable suprématie sur les villes de la Grande-Grèce ; elle était renommée par ses richesses et le luxe que déployaient ses habitants ; elle fut détruite par les Crotoniates, 510 avant J.-C.
«On fit pour Alcysthène de Sybaris une pièce d'étoffe d'une telle magnificence, qu'on la jugea digne d'être exposée dans la fête de Junon Lacinienne, où se rend toute l'Italie, et qu'elle y fut admirée plus que tous les autres objets. Cette pièce d'étoffe passa, dans la suite, dans les mains de, Denys l'Ancien, qui la vendit aux Carthaginois pour 120 talents (660 000 fr. de notre monnaie). Elle était de couleur pourpre, formait un ce carré de quinze coudées de côté (environ 8 mètres) a et était ornée en haut et en bas de figures ouvrées dans le tissu. Le haut représentait les animaux sacrés des Susiens, le bas ceux des Perses ; «au milieu étaient Jupiter, Junon, Thémis, Minerve, Apollon et Vénus ; aux deux extrémités Alcysthène de Sybaris était deux fois reproduit ».
Avec les dépouilles de l'Asie le goût du luxe avait pénétré dans Rome les riches tentures furent recherchées et quelquefois atteignirent des prix excessifs. Tous les descendants de Romulus ne partageaient pas le genre de vie simple et ennemi du faste de M. Porcius Caton, qui, ayant trouvé dans la succession d'un ami, qui l'avait fait son héritier, une pièce de ces tapisseries (haute lisse, traduit et ajoute Amyot) qu'on apportait lors de Babylone, la fit vendre incontinent.
Les tissus désignés à Rome sous le nom d'aulœa ou aulœum servaient à plusieurs usages. On les employait pour décorer les murs des salles à manger ; un bas-relief du Musée Britannique nous montre une tenture (aulœum) disposée de manière à former le fond d'une salle à manger triclinium). Dans un dessin du Virgile du Vatican nous voyons l’aulœum servant de couverture à un lit de table Lorsque Properce dit (Él. XXXII du liv. II) :

Scilicet umbrosis sordet Pompeia columnis Purticus auIœis nobilis Attalicis,

« Le portique de Pompée, son péristyle ombragé, ses magnifiques tentures, etc.,» il fait allusion à l'un de ces magnifiques portiques, ou colonnades, longues promenades étroites couvertes d'un toit supporté par des colonnes, Les Romains les revêtaient de riches étoffes pour se garantir du froid, de la pluie, et surtout de la poussière. On ne se contentait pas d'en parer les murs et les colonnes, on en ouvrait le pavé, et ce n'était pas les moins riches qu'on employait à ce dernier usage. Le luxe de ces tapisseries est pompeusement exprimé par le mot Attalicis aulœis.



Dans les théâtres grecs et romains, ces tapisseries brodées de figures rendaient le même service que la toile dans les théâtres modernes, elles cachaient la scène avant le commencement de la pièce ou pendant les entractes ; placées autour d'un cylindre introduit dans le briquetage du devant de la scène, on les roulait et on les déroulait à volonté.
A quel genre appartenaient ces tissus ? Étaient-ce simplement des étoffes unies, teintes en couleur pourpre, brodées à l'aiguille ou tissées à plusieurs nuances ? Pline, très succinctement il est vrai, nous apprend que ces différents modes de fabrication étaient connus à Rome de son temps :
«Les Phrygiens ont trouvé l'art de broder à l'aiguille ; c'est pour cela que ces ouvrages sont appelés Phrygioniens ; c'est encore en Asie que le roi Attale a trouvé le moyen de joindre les fils d'or aux broderies, d'où ces étoffes ont été appelées Attaliques. Babylone est très célèbre pour la fabrication des broderies de diverses couleurs, d'où le nom de broderies Babyloniennes. Alexandrie a inventé l'art de tisser à plusieurs lisses les étoffes qu'on appelle brocarts ; la Gaule,
les étoffes à carreaux. » .
Nous reviendrons sur cette dernière indication à propos du travail des Gaulois.
L'art de broder les tissus est originaire d'Orient sans aucun doute, et commença par le travail à l'aiguille qui, de tous, présente le moins de difficultés. Mais l'honneur de la découverte de la fabrication à plusieurs couleurs au moyen des lisses revient aux Égyptiens : un passage de Martial, confirme ce qu'a écrit Pline :

Hœc tibi Memphitis tellus dat munera: victa est Pectine Niliaco jam Babylonis acus.

« Tu dois ces ouvrages à la terre de Memphis ; le métier égyptien a vaincu l'aiguille de Babylone. »
Mais déjà du temps d'Auguste on connaissait le travail, de la tapisserie à hautes lisses. En lisant dans Ovide, livre VI des Métamorphoses, la description non seulement de l'ouvrage, mais du travail d'Arachné, on suit toutes les phases de la fabrication d'une véritable tapisserie des Gobelins.
Nous demandons au lecteur la permission d'insister particulièrement sur cette citation, qui est la plus complète que nous ayons trouvée jusqu'à ce jour sur le travail de la tapisserie chez les Romains.
La déesse et Arachné commencent chacune leur travail :
Tela jugo Vincta est : les fils sont attachés à la barre. Le jugum (dans le métier de l'espèce la plus simple, sans ensouple, et sur lequel le tissu était conduit de haut en bas) était la barre transversale qui unissait au sommet les deux montants d'un métier vertical, et à laquelle les fils de chaîne étaient attachés. C'est le métier de Circé dans une miniature du Virgile du Vatican. Stamen secernit arundo, «une baguette sépare la chaîne.» ArundO, c'est le bâton de croisure qui divise la chaîne en deux nappes parallèles.
lnseritur medium radiis subtemen acutis.
«La trame, Subtemen, est introduite au milieu» (dans l'espace qui se produit entre les deux nappes de la chaîne) «au moyen de broches pointues ; » il n'est pas question d'une navette, alveolus, qui va d'un bout du métier à l'autre comme dans le travail du tisserand, mais d'un ouvrage fait au moyen de plusieurs broches.

Quod digiti e:,pediunt atque inter stamina ductum.

«Que les doigts, dirigent et conduisent à travers es fils de la chaîne. »


Percusso feriunt insecti pectine dentes.
.
«Et on frappe la trame au moyen du peigne dont : des dents sont introduites entre les fils. C'est exactement le trayait des hautes lisses, et il semblerait que le poète a sous les yeux une irréprochable tapisserie des Gobelins, lorsqu'il décrit le mélange ingénieux des couleurs, l'opposition des tons, l'harmonie et le fondu des nuances pareil aux rayons du soleil sur les nuages, où l'œil, voyant briller mille couleurs différentes, ne peut pas saisir la transition de l'une à l'autre. »
Rien ne manque à ces deux tableaux en laines rehaussées d'or qui représentent les métamorphoses et les amours des Dieux. Celui de la déesse est encadré par des branches d'olivier, et celui de la fille d'Idmon, par un gracieux entrelas de lierre serpentant sur des fleurs.
Un vers de Virgile (Géorg., liv. II) semble indiquer que l'usage de la soie était assez répandu chez les Romains du temps d'Auguste : on trouve dans Pline des indications moins douteuses, mais ce produit devait être d'un prix très élevé, puisque sous le règne de l'empereur Justinien la soie se vendait encore au poids de l'or.
Originaire de la Chine, la soie passa ensuite dans l'Indoustan, et de là dans la Perse, en Grèce et à Rome, mais elle n'y parvint que fort tard.
Il y avait dans cette dernière ville une teinture qui était un objet du luxe le plus recherché : c'était celle de la pourpre. Il y a grande apparence que cette découverte se fit à Tyr et que le commerce de ce produit contribua puissamment à la prospérité de cette ville.
Suivant Berthollet, le suc dont on se servait pour teindre en pourpre était tiré de deux principales espèces de coquillages : la plus grande portait le nom de pourpre, et l'autre était un buccin ; dont les qualités colorantes variaient suivant la côte où on les pêchait.
De chaque pourpre on ne retirait qu'une goutte de liqueur renfermée dans un vaisseau qui se trouve au fond de leur gosier; quant aux buccins, qui ne contenaient, eux aussi, qu'une petite quantité d'un liquide rouge tirant sur le noir, un rouge brun, on les écrasait.
Lorsqu'on avait recueilli une certaine quantité de ce suc colorant, on y ajoutait du sel marin ; au bout de trois jours de macération, on additionnait ce mélange de cinq fois son volume d'eau, on exposait cette préparation à une chaleur modérée en ayant soin d'écumer les parties animales qui montaient à la surface. Après une dizaine de jours, on essayait avec un peu de laine blanche la hauteur de la nuance de la liqueur.
L'étoffe subissait différents modes de préparation avant d'être plongée dans la teinture : les uns la
passaient dans de l'eau de chaux ; d'au très, afin de mieux fixer la couleur, l'apprêtaient avec une sorte de fucus, espèce de plante marine que nous ne connaissons pas très exactement, mais qu'on croit être une variété de l'orseille que l'on trouve sur les côtes de Candie ; d'autres enfin préparaient le drap avec de l'orcanète dont la racine, qui est fort astringente, rend un jus rouge comme du sang.
Ce que Pline désigne sous le nom de Purpura dibapha, c'est la pourpre de Tyr qui se faisait par
deux opérations, en commençant par teindre avec le suc de la pourpre, puis en donnant une seconde teinture avec celui du buccin.
D'après le mode de préparation et surtout la proportion du mélange du suc des deux coquillages on obtenait une variété dans les nuances du rouge. La pourpre de Tyr avait la couleur du sang coagulé ; la pourpre améthyste tirait sur le violet ; il y en avait même une qui avait tout à fait la nuance de la violette
Quelques-unes de ces couleurs avaient un grand degré de solidité, car Plutarque raconte dans la Vie d'Alexandre que les Grecs trouvèrent dans té trésor de Darius une grande quantité de pourpre dont la beauté n'était pas altérée, quoiqu'elle eût cent quatre-vingt-dix ans d'ancienneté.
La petite quantité de suc colorant qu'on retirait de chaque coquillage, la longueur des procédés de préparation maintenaient la pourpre à un si haut prix, que du temps d'Auguste une livre de laine
teinte en pourpre revenait environ à 700 francs de notre monnaie.
Les empereurs, plus tard, se réservèrent exclusivement le droit de porter la pourpre, qui devint comme le symbole de leur inauguration ; des officiers furent chargés de surveiller cette teinture dans les ateliers où on la préparait, surtout dans la Phénicie. La peine de mort,_qui menaçait tous ceux qui auraient l'audace de la porter, fut sans doute la cause de la disparition de l'art de teindre en pourpre, d'abord en Occident, et beaucoup plus tard dans l'Orient, où ces procédés étaient encore en vigueur au onzième siècle.
Tapisserie tissée main à Aubusson inscrite en 2009 au Patrimoine de l'Unesco
Les tapisseries d'hier et d'aujourd'hui
Tapisserie d'Aubusson

Tapis d'Aubusson
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