De 1640 à 1726, on signale à Aubusson
l'existence de plusieurs maîtres peintres; entre autres, Léonard Roby,
Étienne et Jean Dussel, Etienne Boucher, François Mondon et Jean de la
Seiglière. Nous retrouverons, dans les années suivantes, plusieurs
artistes habiles qui portèrent les noms de Roby et de la Seiglière; ils
étaient les descendants de ceux que nous venons de citer.
Sans date, et en marge du rapport de M. d'Argouges, on lit une longue annotation qui résume l'histoire de la fabrique d'Aubusson, depuis 1620 jusqu'au milieu du dix-huitième siècle; ce fragment signale une crise terrible que subit l'industrie de la tapisserie vers la fin du dix-septième siècle.
«
La fabrique se soutint longtemps après ce rétablissement (allusion aux
Règlements et Ordonnances de 1665); mais l'inobservation de ces
règlements, les abus qui s'y glissèrent, le défaut du peintre et du
teinturier qui n'y furent point envoyés, comme on l'avait projeté, et
enfin, la misère de la plus grande partie des tapissiers, la
replongèrent dans un état plus triste qu'elle n'était auparavant ; sa
réputation diminua insensiblement par la défectuosité des dessins et
des teintures, et par la mauvaise qualité des laines. Les pays
étrangers qui tiraient beaucoup de ces tapisseries en
furent rebutés, les ouvriers tombèrent dans la misère, et ne
subsistèrent, pendant plusieurs années, que par les charités que le roy
eut 1a bonté de leur faire de temps en temps, pour les empêcher de
périr ou de passer à l'étranger.»
Ce que l'annotateur de M.
d'Argouges néglige de nous dire, c'est que cette misère, dont il nous
fait le tableau, n'était pas seulement l'œuvre de l'inobservation des
règlements de 1665, mais plutôt le résultat de l'acte le plus inique et
le plus impolitique du règne de Louis XIV, c'est-à-dire de la
révocation de l'édit de Nantes, et des mesures vexatoires, puis
violentes, qui le précédèrent et le suivirent. Les charités du roi ne
se répandirent que sur les habitants qu'on croyait le mieux convertis;
mais déjà beaucoup, fuyant la persécution, avaient pris le chemin de
l'exil.
Nous n'avons pas à nous étendre sur la révocation de
l'édit de Nantes, mais nous devons signaler l'influence néfaste que
cette mesure exerça sur l'industrie d'Aubusson.
En consultant les pièces originales du temps (1), on constatera que les
calvinistes de celte ville eurent à subir les mômes rigueurs que leurs
coreligionnaires du Midi. On essaya d'abord de les ramener par la
persuasion en comblant de faveurs les nouveaux convertis; en les
exemptant d'impôts, en les admettant aux charges, de préférence même
aux vieux catholiques. Puis, trouvant que les moyens de persuasion et
de séduction avaient un effet trop lent, on eut recours aux
persécutions; on entrava, par toutes sortes d'édits, du roi, d'arrêts
du parlement, d'ordres d'intendants, l'exercice de la religion réformée
: après avoir enlevé aux calvinistes leurs droits de noblesse, on fit
peser sur eux la plus grande charge des impôts, et l'accès des
professions libérales leur fut interdit. L'émigration commença alors
sur une vaste échelle, et ne put être arrêtée, ni par la prison, ni par
la crainte des galères, ni par les troupes qu'on envoyait pour traquer
et ramener les fugitifs.
(1) Voir les Archives nationales, TT (Aubusson).
259 imprimés. - Rapport de M. d'Argouges, intendant de la Généralité de
Moulins, Archives du département de l'Allier , - Voir aussi les
quelques pièces qui sont déposées il la mairie d'Aubusson.
Dès 1567, la religion réformée avait pénétré à Aubusson;
elle y possédait un temple trois ans après, et ses ministres étaient
convoqués aux synodes: Les querelles entre catholiques et protestants
étaient fréquentes, et se traduisaient par des dénonciations, des
plaintes et des procès, à tel point que le commissaire du roi dut
intervenir en 1612. Il rendit une ordonnance confirmant les réformés
dans leurs exercices, et enjoignant aux catholiques et réformés d'avoir
à vivre en bonne union et concorde, conformément au désir des édits de
Sa Majesté. La Bonne harmonie ne dura pas long temps ; les catholiques,
plus nombreux et soutenus par le pouvoir, provoquèrent des mesures qui
interdirent aux protestants de faire accompagner leurs morts par plus
de dix personnes, choisies parmi leurs plus proches parents.
L'enterrement devait être fait devant le soleil levé ou après le soleil
couché, et le temple, qu'on trouvait trop près de l’église catholique
fut démoli pour être reconstruit à Combesaude (1662-1663).
Le 23
mai 1683, l'intendant de la généralité de Moulins, accompagné du
vice-gérant de l'évêché de Limoges et de trois autres prêtres, se
transporta dans le temple, où ils donnèrent lecture de l'avertissement
pastoral que l'évêque adressait aux dissidents pour les engager à
rentrer dans le giron de l’église catholique.
Le 10 février 1684,
un arrêt du parlement de Paris ordonna la démolition du temple de
Combesaude, comme ayant été édifié contre les termes de l'édit de 1598.
Les protestants interjetèrent appel au roi contre cette décision.
L'intendant Du Creil vint à Aubusson
le 23 mars 1685, et ordonna que le temple fût fermé, comme châtiment
des contraventions commises par les ministres et anciens de la religion
prétendue réformée, accusés d'avoir désobéi aux édits et déclarations
du roy, spécialement d'avoir souffert dans le temple des enfants
au-dessous de quatorze ans dont les pères étaient convertis.
Le
rapport que M. Du Creil adressa au ministère prouve que les conversions
n'étaient pas aussi nombreuses qu'on l'avait espéré d'abord. Voici ce
qu'il disait:
« Après la clôture du temple, le ministre me demanda
la permission de baptiser les enfants, et je la lui donnay, à la charge
que ce ne sera que dans les maisons particulières, sans aucune
assemblée, et sans faire d'autres prières que celles du baptême. Il me
demanda aussi la permission de marier, mais je la lui refusay, la
nécessité ne me paraissait pas si urgente pour le mariage comme pour le
baptême.
« Ceux de la dite religion prétendue réformée, me vinrent
ensuite. représenter qu'ils avaient quelques affaires commencées, sur
lesquelles il leur était nécessaire de conférer, comme pour le paiement
des six mois écheus du ministre et du lecteur, aussi bien que pour
amasser quelques deniers, pour pourvoir contre mon ordonnance; et si je
ne trouverais pas bon qu'ils s'assemblassent pour délibérer. Comme ils
avaient obéi avec assez de soumission, je crus leur devoir cette
justice et ils tinrent, en ma présence, une espèce de consistoire dans
lequel ils firent le rôle ci-joint ....
« Pendant deux jours que j'ai demeuré à Aubusson,
j'ai fait aux nouveaux convertis quelques aumônes et mêmes libéralités,
dont j'aurai l'honneur de vous rendre un compte particulier.
«
J'ai exhorté, en général et en particulier, ceux de la religion
prétendue réformée à sortir de l'erreur où ils sont. Comme le peuple d'Aubusson
est assez grossier, il y a lieu de croire que si l'espérance de ravoir
le temple était une fois ostée, on verrait beaucoup de conversions. »
Nous ne savons pas si le peuple d'Aubusson
était grossier en 1675, mais il était tenace dans ses convictions, car
il fallut recourir aux grands moyens, comme nous le voyons par le
rapport que M. d'Argouges fit à ce sujet en 1686 :
« Comme je
rends compte journellement, écrit-il au conseil, de ce qui se passe en
détail concernant les nouveaux convertis de cette généralité, je me
contenterai de dire, en général qu'il n'y avait de religionnaires qu'à Aubusson,
dans la ville de Château-Chinon, et quelques-uns répandus dans
l'élection de Nevers, Depuis que je suis ici (à Moulins) j'y fais
plusieurs voyages et j'en ai fait emprisonner plusieurs et récompenser
des charités du roy ceux que j'ai cru les mieux convertis, espérant que
des manières si opposées produiraient un bon effet. Cela est arrivé
comme je l'avais pensé, car, depuis le dernier voyage que j'ai fait à Aubusson,
au commencement du mois de décembre, les prêtres et les juges sont
édifiés de l'assiduité des nouveaux convertis à bien remplir leur
devoir. Il y a dans cette ville, un petit président dont les soins sur
cela ne peuvent se payer, etc. ,etc. »
Pendant que M. d'Argouges se félicitait d'avoir à Aubusson
un petit président aussi zélé, « le monarque, dit Saint-Simon, ne
s'était jamais cru si grand devant les hommes, ni si avancé devant Dieu
dans la réparation de ses péchés et du scandale de sa vie; il
n'entendait que des éloges, tandis que les bons et vrais catholiques et
les saints évêques gémissaient de tout leur cœur de voir des orthodoxes
imiter contre les hérétiques ce que les tyrans païens avaient fait
contre les confesseurs et des martyrs ; ils ne pouvaient se consoler de
cette immensité de parjures et de sacrilèges ; ils pleuraient amèrement
l'odieux durable et irrémédiable que de détestables moyens répandaient
sur la religion; tandis que nos voisins exaltaient de nous voir ainsi
nous affaiblir et nous détruire nous-mêmes, profitaient de notre folie,
et bâtissaient des desseins sur la haine que nous nous attirions de
toutes les puissances protestantes ... »
Ce furent, en effet, ces
émigrés que rien ne put retenir en France - ni la peine de mort édictée
contre ceux qui favoriseraient l'émigration, ni la confiscation, ni les
troupes qui gardaient les frontières - qui apportèrent à l'étranger les
secrets de l'industrie française et une haine implacable contre leurs
persécuteurs.
200 000 Français environ se réfugièrent chez les
nations protestantes, qui les accueillirent avec faveur et
encouragèrent l'émigration.
A Londres, un des faubourgs,
Spetanfields, fut entièrement peuplé d'ouvriers en soie, en cristaux,
en acier. L'Angleterre prit alors le premier rang de l'industrie
européenne.
L'électeur de Brandebourg accepta les capitaux des
réfugiés à 15 pour 100 d'intérêt, et leur donna un gouverneur
particulier. Grâce à ces colons français, les sables du Brandebourg
furent défrichés, la Prusse sortit de la boue, et Berlin devint une
ville. Frédéric Guillaume qui, outre une garde de 600 gentilshommes,
avait formé quatre régiments français, se servit des plumes des
ministres pour inonder l'Europe de pamphlets contre le gouvernement de
Louis XIV, et encouragea les établissements industriels qui vinrent
s'établir dans ses États.
Pierre Mercier, originaire d'Aubusson, obtint la patente de tapissier de l'électeur de Brandebourg ; il fabriqua des tapisseries
d'or, d'argent, de soie, de laine, qui servirent à l'embellissement de
Potsdam et d'autres résidences royales; elles représentaient les
événements les plus glorieux de ce règne. Des fabriques semblables
furent fondées par des réfugiés français dans le Brandebourg, à
Francfort sur l'Oder, à, Magdebourg, etc.
Un autre réfugié, Passavant, acheta à bas prix une fabrique de tapisserie,
fondée en Angleterre par un capucin français devenu protestant, la
transporta à Exeter, où il la fit prospérer avec le secours d'ouvriers
des Gobelins.
Dumonteil, un autre tapissier, se réfugia à Berlin.
Ce souvenir d'une émigration de tapissiers Aubussonnais
en Allemagne est très vivace dans le pays. On raconte encore que, sous
la première République, un bataillon de Marchois rencontra, sur les
bords du Rhin, un village dans lequel les habitants parlaient encore le
patois de la Marche, et dont beaucoup portaient des noms d'origine Aubussonnaise.
On
sait quelle perturbation apporta à toutes les industries françaises la
révocation de l'édit de Nantes; par exemple la fabrique des soieries de
Tours tombait de 8000 métiers à 1200, celle de Lyon de 12000 à 4000
(1). La manufacture d'Aubusson eut à subir une épreuve toute semblable. On estime à 250 environ le nombre des habitants d'Aubusson
qui passèrent à l'étranger; c'était l'élite des religionnaires; et ceux
qui restèrent, découragés, ruinés, toujours sous le coup de
dénonciations et de poursuites, n'avaient guère d'ardeur au travail
dans un moment où ils n'avaient pas de sécurité pour leur existence.
(l) Depping, Correspondance administrative de Louis XIV, dans les Documents inédits.
Les représentants les plus distingués de l'industrie des tapis, à Aubusson,
appartenaient à la religion réformée; on en a la preuve dans ce fait
que les statuts de Colbert sont dus en partie à la collaboration de
Jacques Bertrand, protestant, et parmi les consuls qui apposèrent leur
signature au bas du règlement de 1665, deux d'entre eux, Dumonteil ct
Chabanneix, étaient aussi protestants.
Les dernières années du
règne de Louis XIV furent désastreuses pour toute la France; le pays
était épuisé par les guerres qu'il soutenait seul et depuis si
longtemps contre -I'Europe coalisée. Ce n'était pas lorsque les grands
personnages, à l'exemple du roi, envoyaient leur argenterie à la
monnaie, qu'ils pouvaient songer à commander des tapisseries pour leurs hôtels et Aubusson ne devait retrouver l'éclat des jours passés que dans les premières années du règne de Louis XV.
Tapis d'Aubusson et Tapisseries d'Aubusson inscrits au Patrimoine de l'Unesco en 2009
Tapisserie d'Aubusson
Tapis d'Aubusson
Tapisserie à réaliser soi-même
e-boutique http://www.tapisserie-royale-aubusson.fr