Colbert - Ordonnance de 1665. - Prospérité d'
Aubusson. - Révocation de l'édit de Nantes, 1685. - Les intendants de la généralité de Moulins à Aubusson. - Leurs rapports. - Les huguenots persécutés. - Les ouvriers d'Aubusson émigrent à l'étranger.
Sans
avoir été profondément atteint, le commerce avait souffert des troubles
qui signalèrent les premières années. du règne de Louis XIV. Mais la
défaite de la Fronde n'avait fait que démontrer l'inanité des dernières
résistances de l'esprit féodal contre la royauté absolue, et surtout le
besoin qu'avait le pays d'ordre, de paix et de travail.
Colbert,
qui avait apporté, dans la gestion des finances; le même esprit d'ordre
dont Sully avait fait preuve, ne partageait pas, en matière d'économie
politique, les idées du ministre de Henri IV. Il pensait que le
gouvernement ne pouvait s'enrichir qu'en augmentant les sources de
richesse de la nation et que les seuls États riches étaient ceux qui
produisaient et trafiquaient.
Possédant de vastes connaissances,
doué d'une volonté de fer et d'un esprit capable de concevoir les plans
les plus grandioses, et d'en embrasser en même temps tous les détails,
il voulut que la France devint, par le commerce et l'industrie, ce
qu'elle était déjà par les armes, les sciences, les lettres et les arts
: la première des nations. Il dépensa, à la poursuite de ce but, une
activité infatigable et une persévérance qui, ne se rebutant jamais
devant les difficultés, finit par triompher de tous les obstacles. Il
demanda à l'étranger les plus habiles ouvriers, fit des avances aux
petits fabricants et sa sollicitude s'attacha aussi bien à créer des
manufactures d'objets de luxe, qu'à encourager la production des
articles usuels et de ceux de première nécessité.
Louviers, Sedan,
Abbeville, lui durent le rétablissement de leurs fabriques de draps, et
Lyon, par la création des nouvelles manufactures de soieries unies et
de brochés d'or et d'argent, lui dut une prospérité telle que le
chiffre de sa production s'éleva à 100 000 000 et le nombre de ses
métiers à 20 000.
Mais, craignant que l'industrie n'errât dans de
longs et difficiles tâtonnements, croyant aussi qu'il appartenait au
pouvoir de diriger complètement le goût et l'activité des citoyens, il
promulgua des règlements qui transformaient les artisans en véritables
machines à productions.
Protectionniste à outrance, il pensa que
le seul moyen de ne pas être écrasé par les industries des pays
voisins, était de frapper de droits très élevés l'importation des
marchandises étrangères, en même temps qu'il abolissait les droits sur
l'exportation des produits indigènes.
Aubusson ne
fut pas oubliée dans cette régénération des manufactures de France ;
l'état de sa fabrique fut l'objet d'une enquête très sérieuse, à la
suite de laquelle furent rendues les ordonnances de 1665, qu'on nomme
la grande charte de la manufacture d'Aubusson, et que
nous reproduisons en entier dans la crainte d'en atténuer la valeur par
une analyse. Le texte a été copié sur l'original, déposé aux archives
de la ville.
ORDONNANCE, STATUTS ET RÈGLEMENTS
Des marchands, maîtres et ouvriers tapissiers de la ville d'Aubusson, hameaux d'icelle et bourg de la Cour, dressez en l'année 1665, et confirmez par lettres patentes du Roy de ladite année.
Aujourd'hui, vingt-huitième du mois de septembre mil six cens soixante-quatre, dans l'auditoire royal de cette ville d'Aubusson,
en assemblée générale, convoquée au son de la cloche, par-devant nous,
Jacques Garreau, sieur de Salvert, conseiller du roy, président
chastelain, juge civil et criminel de cette ville et chastellenie d'Aubusson,
se sont comparus en leurs personnes honorables, hommes maistres Gabriel
Pierron, Michel Vallenet, Michel le Rousseau, Jean Dumonteils l'aîné,
et Jacques Chabaneix, à présent consuls de ladite ville, qui, par la
bouche du dit Pierron, l'un d'eux, ont exposé à l'assemblée, que, ayant
cy-devant été escrit une lettre de cachet du roy, en datte du trentième
août 1664, par laquelle Sa Majesté a eu la bonté de faire entendre aux
habitants de cette ville, ses bonnes et louables intentions pour le
restablissement du commerce au dedans et au dehors du royaume, et Sa
Majesté donnait ordre qu’aussitost que ladite lettre de cachet aura été
receue, on aye à faire assembler tous les marchands et négocians de
cette ville, afin de leur expliquer particulièrement ses intentions sur
le sujet du contenu en icelle, afin que, en estant informez, et du
favorable traitement que Sa Majesté désire leur faire, ils fussent
d'autant plus conviez à s'appliquer au commerce, leur faisant entendre
que, pour toutes les choses qui concerneront le bien et l'avantage
d'iceluy, ils ayent à s'adresser à Monseigneur Colbert, conseiller du
roy en son conseil royal, et intendant de ses finances, auquel il
auroit ordonné d'en prendre le soin. Après la lecture de laquelle
lettre de cachet en icelle assemblée,fut faite une délibération, en
couséquence de laquelle fut passée une procuration le dix-septième
octobre ensuivant à Jacques Bertrand, marchand tapissier de cette
ville, et l'un des tapissiers de la garde robbe du roy, auquel il fut
donné pouvoir pour comparoistre devant mondit seigneur Colbert, pour
rendre compte de l'estat du trafic, commerce et manufacture des tapisseries
qui se font et fabriquent journellement en cette ville, et représenter
que l'establissement en est de temps immémorial sans que l'on en sache
la première institution, que les habitants du lieu semblent être nez à
ce travail, que c'est presque la seule ville du royaume qui connoisse
et réussisse heureusement dans cet ouvrage, que toutes sortes de
personnes travaillent à cette manufacture, et qu'à cet effet il y a,
tant dans la dite ville que dans les faubourgs, quinze ou seize cents
ouvriers travaillant en icelle, et qu'il estoit bien vray que la dite
manufacture était descheûe beaucoup de son ancienne perfection, ce qui
auroit esté cause que le débit en avoit esté moindre, et que le
principal sujet de ce changement estoit la surcharge des tailles
imposées en ladite ville et les continuels passages des gens de guerre,
que lesdits marchands et ouvriers ont esté foulez, et autres subsides
et impôts sur lesdites tapisseries et estofîes dont
elles sont composées; mais que, s'il plaisoit à Sa Majesté concéder
auxdits marchands et ouvriers, les mêmes priviléges, exemptions et
advantages qui ont été accordés par les reys Henry le Grand, Louis
XIII, et Sa Majesté à présent heureusement régnante aux sieurs de
Comans, la Planche et Hinard, ladite manufacture pourroit estre bien
tost remise en sa perfection, ledit sieur Bertrand auroit exécuté
I'ordre contenu en sa procuration avec tels soins et diligences qu'en
ayant souventes fois conféré avec mondit seigneur Colbert, il a fait
entendre aux dits consuls qu'il espère avoir un favorable succès de
l'employ que l’assemblée lui a commis, mais qu'il est à propos qu'on
face une nouvelle assemblée des habitants de cette ville la plus
nombreuse qui se pourra, en laquelle cette affaire soit traitée à
fonds. Et, puisque l’on reconnoist, dans Sa Majesté, la continuation de
ses bonnes intentions pour restablir en sa perfection la manufacture
des dites tapisseries, dont le commerce peut estre de
grande utilité en cette ville, et qui consisterait, après avoir reconnu
les abus et défauts, qui ont esté cause qu'elle a 'esté en moindre
estime qu'elle ne devait pas estre jusques à présent, qu'il était très
important de faire un bon règlement à l'avenir, duquel Sa Majesté
serait très humblement suppliée d'accorder la confirmation par ses
lettres patentes, lesdits consuls ont estimé à propos de convoquer
comme ils ont fait cette présente assemblée, afin que chacun pust
librement donner son advis sur cette proposition, qui est de notable
importance pour le bien de cette ville, requerrant qu'elle aye à leur
donner advis, et prescrire ce qu'elle désire qu'ils fassent.
Sur
quoy ouy le procureur du roy, et après l'examen de plusieurs advis, et
un entier examen de toute l'assemblée, ont été d'avis de faire les
règlements qui s'ensuivent cy après :
ORDONNANCES ET STATUTS
Des marchands, maistres et ouvriers tapissiers de la ville, d'Aubusson
fauxbourgs et hameaux d'icelle et bourg de la Cour, accordez a
l'assemblée générale des habitants d'icelle, le dix-huitième jour de
may 1665, afin d'en estre demandé au roy l’homologation par ses lettres
patentes qu'il lui plaira en octroyer pour le restablissement de la
manufacture des tapisseries.
I
Messieurs les officiers et consuls de la ville d'Aubusson
feront nommer en une assemblée générale de ladite ville, qui se tiendra
de trois en trois ans, à cet effet, quatre personnes de probité et
bonne conscience, ayant bonne connoissance de la marchandise de tapisserie,
desquels sera pris le serment de se bien comporter en la commission qui
leur sera donnée d'avoir l'inspection, conduite et direction à ce qu'il
ne s'employe dans la confection des tapisseries qui
se feront audit lieu aucune laine qui ne soit bien teinte et bien
dégraissée avec le savon et la gravelée, tant pour les chaisnes que
pour le tissu desdites tapisseries : comme aussi
qu'il ne s'y fasse aucun employ de laine de brebis ou moutons morts de
maladie, mais seulement de celle desdits brebis, ou moutons qui auront
été tonduz ou tués dans les boucheries, et qu'il ne s'y employe aucun
cotton, ni fil d'Espinay.
II
Les dites quatre personnes
commises de la sorte visiteront quand bon leur semblera, ou du moins
deux fois la semaine, tous les hasteliers de tapisseries, et ceux des teinturiers, blanchisseurs, et tous autres apresteurs de laines.
III
Toutes les pièces de tapisserie qui seront fabriquées tant dans ladite ville d'Aubusson,
faux bourgs et hameaux qui dépendent d'icelle, qu'au bourg de la Cour,
seront apportées dans une chambre qui à ce faire sera destinée dans
ladite ville d'Aubusson
vingt-quatre-heures après qu'elles auront été descendües des
hasteliers, pour estre veües et visitées par les dites quatre personnes
commises à cet effet; et si elles sont trouvées bonnes et bien
fabriquées, elles seront, par eux, marquées d'un plomb où seront
gravées les armes du roy et de la ville, afin de discerner les bons et
loyaux ouvrages d'avec, les mauvais et défectueux; ensuite rendües aux
dits marchands et ouvriers vingt-quatre heures après; et que celles qui
se trouveront mal façonnées et défectueuses seront rejettées sans y
estre appliqué aucune marque, avec défenses d'exiger ny lever aucun
droict par lesdits commis à cette visite pour icelle visite et marque à
peine de concussion. Lesquelles
tapisseries ainsi
fabriquées, visitées et marquées seront exemptes de toute autre marque
et visite par toutes les villes du royaume où elles pourront estre
transportées, débitées et vendües : Auquel effet, sera tenu un fidèle
registre, dont les feuillets seront paraphés par premier et dernier
depuis le commencement jusques il la fin : dans lequel seront écrites
toutes les pièces de tapisserie qui auront esté
apportées en ladite chambre avec le nom des maistres, compagnons et
ouvriers qui y auront travaillé, et le jour qu'elles auront été
visitées et marquées.
IV
Avant qu'aucuns ne puissent lever mestier pour travailler en ladite manufacture de tapisserie,
qu'auparavant ils n'ayent en qualité d'apprentifs servi du moins trois
ans les maistres d'apprentissage, en leur payant par lesdits maistres
leurs louages à proportion de ce qu'ils ont accoustumé, et qu'ils
n'ayent servi autres quatre années après leur apprentissage chez les
maistres en qualité de compagnons, ce dont ils seront tenus de
justifier.
V
Seront les contrevenans aux présents Statuts
et Règlements mulctez d'amende par le juge ordinaire des lieux, sur le
rapport desdits quatre commis à la visite, lesquelles amendes seront
par eux reçeües et employées, la moitié auxdits directeurs, et l'autre
moitié pour l'assistance des pauvres veufves et orphelins honteux dudit
mestier, auxquels la distribution sera faite par lesdits quatre commis
à ladite visite.
VI
Sera octroyé un délai de six mois à
compter du jour qu'il aura pIeu au roy d'accorder ses lettres patentes
pour l'homologation des présents articles pour pouvoir employer par
lesdits ouvriers les estoffes qu'ils peuvent avoir par devers eux.
Tous
lesquels articles ci-dessus ont esté jugez absolument nécessaires à
l'effet de rétablir en sa perfection la manufacture desdits ouvrages.
Mais,
outre les susdits articles qui concernent les dits statuts, l'assemblée
a résolu que de très humbles remontrances seront faites au roy.
Tapis d'Aubusson et Tapisseries d'Aubusson inscrits au Patrimoine de l'Unesco en 2009
Tapisserie d'Aubusson
Tapis d'Aubusson
Tapisserie à réaliser soi-même
e-boutique http://www.tapisserie-royale-aubusson.fr
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